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étourdissantes, qu’il tomba comme stupéfié par le premier baiser.

— Pardonne-moi cette tromperie, mon amour, lui dit la Sicilienne. Je meurs si je ne t’emmène !

Et la gondole vola sur les eaux discrètes.

Le lendemain soir, à sept heures et demie, les spectateurs étaient à leurs mêmes places au théâtre, à l’exception des personnes du parterre qui s’asseyent toujours au hasard. Le vieux Capraja se trouvait dans la loge de Cataneo. Avant l’ouverture, le duc vint faire une visite à la duchesse ; il affecta de se tenir près d’elle et de laisser Emilio sur le devant de la loge, à côté de Massimilla. Il dit quelques phrases insignifiantes, sans sarcasmes, sans amertume, et d’un air aussi poli que s’il se fût agi d’une visite à une étrangère. Malgré ses efforts pour paraître aimable et naturel, le prince ne put changer sa physionomie, qui était horriblement soucieuse. Les indifférents durent attribuer à la jalousie une si forte altération dans des traits, habituellement calmes. La duchesse partageait sans doute les émotions Emilio, elle montrait un front morne, elle était visiblement abattue. Le duc, très-embarrassé entre ces deux bouderies, profita de l’entrée du Français pour sortir.

— Monsieur, dit Cataneo à son médecin avant de laisser retomber la portière de la loge, vous allez entendre un immense poème musical assez difficile à comprendre du premier coup ; mais je vous laisse auprès de madame la duchesse qui, mieux que personne, peut l’interpréter, car elle est mon élève.

Le médecin fut frappé comme le duc de l’expression peinte sur le visage des deux amants, et qui annonçait un désespoir maladif.

— Un opéra italien a donc besoin d’un cicerone ? dit-il à la duchesse en souriant.

Ramenée par cette demande à ses obligations de maîtresse de loge, la duchesse essaya de chasser les nuages qui pesaient sur son front, et répondit en saisissant avec empressement un sujet de conversation où elle pût déverser son irritation intérieure.

— Ce n’est pas un opéra, monsieur, répondit-elle, mais un oratorio, œuvre qui ressemble effectivement à l’un de nos plus magnifiques édifices, et où je vous guiderai volontiers. Croyez-moi, ce ne sera pas trop que d’accorder à notre grand Rossini toute votre intelligence, car il faut être à la fois poète et musicien pour