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furent l’objet de ses tentatives hardies. La veille de la Toussaint, il avait mandé de savants orfévres, afin d’établir en France l’unité des mesures et des poids, comme il y avait établi déjà l’unité du pouvoir. Ainsi, cet esprit immense planait en aigle sur tout l’empire, et Louis XI joignait alore à toutes les précautions du roi les bizarreries naturelles aux hommes d’une haute portée. A aucune époque, cette grande figure n’a été ni plus poétique ni plus belle. Assemblage inouï de contrastes ! un grand pouvoir dans un corps débile, un esprit incrédule aux choses d’ici-bas, crédule aux pratiques religieuses, un homme luttant avec deux puissances plus fortes que les siennes, le présent et l’avenir ; l’avenir, où il redoutait de rencontrer des tourments, et qui lui faisait faire tant de sacrifices à l’Église ; le présent, ou sa vie elle-même, au nom de laquelle il obéissait à Coyctier. Ce roi, qui écrasait tout, était écrasé par des remords, et plus encore par la maladie, au milieu de toute la poésie qui s’attache aux rois soupçonneux, en qui le pouvoir s’est résumé. C’était le combat gigantesque et toujours magnifique de l’homme, dans la plus haute expression de ses forces, joutant contre la nature.

En attendant l’heure fixée pour son dîner, repas qui se faisait à cette époque entre onze heures et midi, Louis XI, revenu d’une courte promenade, était assis dans une grande chaire de tapisserie, au coin de la cheminée de sa chambre. Olivier-le-Daim et le médecin Coyctier se regardaient tous deux sans mot dire et restaient debout dans l’embrasure d’une fenêtre, en respectant le sommeil de leur maître. Le seul bruit que l’on entendît était celui que faisaient, en se promenant dans la première salle, deux chambellans de service, le sire de Montrésor, et Jean Dufou, sire de Montbazon. Ces deux seigneurs tourangeaux regardaient le capitaine des Ecossais probablement endormi dans son fauteuil, suivant son habitude. Le roi paraissait assoupi. Sa tête était penchée sur sa poitrine ; son bonnet, avancé sur le front, lui cachait presque entièrement les yeux. Ainsi posé dans sa haute chaire surmontée d’une couronne royale, il semblait ramassé comme un homme qui s’est endormi au milieu de quelque méditation.

En ce moment, Tristan et son cortége passaient sur le pont Sainte-Anne, qui se trouvait à deux cents pas de l’entrée du Plessis, sur le canal.

— Qui est-ce ? dit le roi.