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de jeune homme ; le cœur trop plein déborde, on revoit les rives fleuries des torrents de l’amour. Tous les boissons ardents de la jeunesse flambent et redisent leurs mots divins jadis entendus et compris ! Et la voix roule, elle resserre dans ses évolutions rapides ces horizons fuyants, elle les amoindrit ; ils disparaissent éclipsés par de nouvelles, par de plus profondes joies, celles d’un avenir inconnu que la fée montre du doigt en s’enfuyant dans son ciel bleu.

— Et toi, répondit Cataneo, n’as-tu donc jamais vu la lueur directe d’une étoile t’ouvrir les abîmes supérieurs, et n’as-tu jamais monté sur ce rayon qui vous emporte dans le ciel au milieu des principes qui meuvent les mondes ?

Pour tous les auditeurs, le duc et Capraja jouaient un jeu dont les conditions n’étaient pas connues.

— La voix de Genovese s’empare des fibres, dit Capraja.

— Et celle de la Tinti s’attaque au sang, répondit le duc.

— Quelle paraphrase de l’amour heureux dans cette cavatine ! reprit Capraja. Ah ! il était jeune, Rossini, quand il écrivit ce thème pour le plaisir qui bouillonne ! Mon cœur s’est empli de sang frais, mille désirs ont pétillé dans mes veines. Jamais sons plus angéliques ne m’ont mieux dégagé de mes liens corporels, jamais la fée n’a montré de plus beaux bras, n’a souri plus amoureusement, n’a mieux relevé sa tunique jusqu’à mi-jambe, en me levant le rideau sous lequel se cache mon autre vie.

— Demain, mon vieil ami, répondit le duc, tu monteras sur le dos d’un cygne éblouissant qui te montrera la plus riche terre, tu verras le printemps comme le voient les enfants. Ton cœur recevra la lumière sidérale d’un soleil nouveau, tu te coucheras sur une soie rouge, sous les yeux d’une madone, tu seras comme un amant heureux mollement caressé par une Volupté dont les pieds nus se voient encore et qui va disparaître. Le cygne sera la voix de Genovese s’il peut s’unir à sa Léda, la voix de la Tinti. Demain l’on nous donne Mosè, le plus immense opéra qu’ait enfanté le plus beau génie de l’Italie.

Chacun laissa causer le duc et Capraja, ne voulant pas être la dupe d’une mystification ; Vendramin seul et le médecin français les écoutèrent pendant quelques instants. Le fumeur d’opium entendait cette poésie, il avait la clef du palais où se promenaient ces deux imaginations voluptueuses. Le médecin cherchait à comprendre