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la fille du pâtissier lui accommodait elle-même des huîtres farcies, l’approvisionnait de cigares, et avait soin de son argent. D’après son conseil, cette pâtissière, quoique très-belle, n’écoutait aucun amoureux, vivait sagement, et conservait l’ancien costume des Vénitiennes. Cette Vénitienne pur-sang avait douze ans quand Capraja s’y intéressa, et vingt-six ans quand il mourut ; elle l’aimait beaucoup, quoiqu’il ne lui eût jamais baisé la main, ni le front, et qu’elle ignorât complétement les intentions de ce pauvre vieux noble. Cette fille avait fini par prendre sur le patricien l’empire absolu d’une mère sur son enfant : elle l’avertissait de changer de linge ; le lendemain, Capraja venait sans chemise, elle lui en donnait une blanche qu’il emportait et mettait le jour suivant. Il ne regardait jamais une femme, soit au théâtre, soit en se promenant. Quoique issu d’une vieille famille patricienne, sa noblesse ne lui paraissait pas valoir une parole ; le soir après minuit, il se réveillait de son apathie, causait et montrait qu’il avait tout observé, tout écouté. Ce Diogène passif et incapable d’expliquer sa doctrine, moitié Turc, moitié Vénitien, était gros, court et gras ; il avait le nez pointu d’un doge, le regard satirique d’un inquisiteur, une bouche prudente quoique rieuse. A sa mort, on apprit qu’il demeurait, proche San-Benedetto, dans un bouge. Riche de deux millions dans les fonds publics de l’Europe, il en laissa les intérêts dus depuis le placement primitif fait en 1814, ce qui produisait une somme énorme tant par l’augmentation du capital que par l’accumulation des intérêts. Cette fortune fut léguée à la jeune pâtissière.

— Genovese, disait-il, ira fort loin. Je ne sais s’il comprend la destination de la musique ou s’il agit par instinct, mais voici le premier chanteur qui m’ait satisfait. Je ne mourrai donc pas sans avoir entendu des roulades exécutées comme j’en ai souvent écouté dans certains songes au réveil desquels il me semblait voir voltiger les sons dans les airs. La roulade est la plus haute expression de l’art, c’est l’arabesque qui orne le plus bel appartement du logis : un peu moins, il n’y a rien ; un peu plus, tout est confus. Chargée de réveiller dans votre âme mille idées endormies, elle s’élance, elle traverse l’espace en semant dans l’air ses germes qui, ramassés par les oreilles, fleurissent au fond du cœur. Croyez-moi, en faisant sa sainte Cécile, Raphaël a donné la priorité à la musique sur la poésie. Il a raison : la musique s’adresse au cœur, tandis que les écrits ne s’adressent qu’à l’intelligence ; elle communique