Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/406

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il aurait poussé une persienne battue par le vent pendant une nuit d’automne. Il se tint debout, immobile, perdu dans un monde de pensées. Tout à coup un bruit aigre, semblable au cri d’un ressort rouillé, rompit ce silence. Don Juan, surpris, faillit laisser tomber le flacon. Une sueur, plus froide que ne l’est l’acier d’un poignard, sortit de ses pores. Un coq de bois peint surgit au-dessus d’une horloge et chanta trois fois. C’était une de ces ingénieuses machines à l’aide desquelles les savants de cette époque se faisaient éveiller à l’heure fixée pour leurs travaux. L’aube rougissait déjà les croisées. Don Juan avait passé dix heures à réfléchir. La vieille horloge était plus fidèle à son service qu’il ne l’était dans l’accomplissement de ses devoirs envers Bartholoméo. Ce mécanisme se composait de bois, de poulies, de cordes, de rouages, tandis que lui, avait ce mécanisme particulier à l’homme, et nommé un cœur. Pour ne plus s’exposer à perdre la mystérieuse liqueur, le sceptique don Juan la replaça dans le tiroir de la petite table gothique. En ce moment solennel, il entendit dans les galeries un tumulte sourd : c’était des voix confuses, des rires étouffés, des pas légers, les froissements de la soie, enfin le bruit d’une troupe joyeuse qui tâche de se recueillir. La porte s’ouvrit, et le prince, les amis de don Juan, les sept courtisanes, les cantatrices apparurent dans le désordre bizarre où se trouvent des danseuses surprises par les lueurs du matin, quand le soleil lutte avec les feux pâlissants des bougies. Ils arrivaient tous pour donner au jeune héritier les consolations d’usage.

— Oh ! oh ! le pauvre don Juan aurait-il donc pris cette mort au sérieux, dit le prince à l’oreille de la Brambilla.

— Mais son père était un bien bon homme, répondit-elle.

Cependant les méditations nocturnes de don Juan avaient imprimé à ses traits une expression si frappante qu’elle imposa silence à ce groupe. Les hommes restèrent immobiles. Les femmes, dont les lèvres étaient séchées par le vin, dont les joues avaient été marbrées par des baisers, s’agenouillèrent et se mirent à prier. Don Juan ne put s’empêcher de tressaillir en voyant les splendeurs, les joies, les rires, les chants, la jeunesse, la beauté, le pouvoir, toute la vie personnifiée se prosternant ainsi devant la mort. Mais, dans cette adorable Italie, la débauche et la religion s’accouplaient alors si bien que la religion y était une débauche et la débauche une religion ! Le prince serra affectueusement la main