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Vêtues de satin, étincelantes d’or et chargées de pierreries qui brillaient moins que leurs yeux, toutes racontaient des passions énergiques, mais diverses comme l’étaient leurs beautés. Elles ne différaient ni par les mots ni par les idées ; l’air, un regard, quelques gestes ou l’accent servaient à leurs paroles de commentaires libertins, lascifs, mélancoliques ou goguenards.

L’une semblait dire : — Ma beauté sait réchauffer le cœur glacé des vieillards.

L’autre : — J’aime à rester couchée sur des coussins, pour penser avec ivresse à ceux qui m’adorent.

Une troisième, novice de ces fêtes, voulait rougir : — Au fond du cœur je sens un remords ! disait-elle. Je suis catholique et j’ai peur de l’enfer. Mais je vous aime tant, oh ! tant et tant, que je puis vous sacrifier l’éternité.

La quatrième, vidant une coupe de vin de Chio, s’écriait : — Vive la gaieté ! Je prends une existence nouvelle à chaque aurore ! Oublieuse du passé, ivre encore des assauts de la veille, tous les soirs, j’épuise une vie de bonheur, une vie pleine d’amour !

La femme assise auprès de Belvidéro le regardait d’un œil enflammé. Elle était silencieuse. — Je ne m’en remettrais pas à des bravi pour tuer mon amant, s’il m’abandonnait ! Puis elle avait ri, mais sa main convulsive brisait un drageoir d’or miraculeusement sculpté.

— Quand seras-tu grand-duc ? demanda la sixième au prince avec une expression de joie meurtrière dans les dents, et du délire bachique dans les yeux.

— Et toi, quand ton père mourra-t-il ? dit la septième en riant, en jetant son bouquet à don Juan par un geste enivrant de folâtrerie. C’était une innocente jeune fille accoutumée à jouer avec toutes les choses sacrées.

— Ah ! ne m’en parlez pas, s’écria le jeune et beau don Juan Belvidéro, il n’y a qu’un père éternel dans le monde, et le malheur veut que je l’aie !

Les sept courtisanes de Ferrare, les amis de don Juan et le prince lui-même jetèrent un cri d’horreur. Deux cents ans après et sous Louis XV, les gens de bon goût eussent ri de cette saillie. Mais peut-être aussi, dans le commencement d’une orgie, les âmes avaient-elles encore trop de lucidité ? Malgré le feu des bougies, le cri des passions, l’aspect des vases d’or et d’argent, la fumée des vins,