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extraordinaire. Craignant que mes scrupules ne dégénérassent en monomanie, je résolus de convoquer un sanhédrin de consciences pures, afin de jeter quelque lumière sur ce problème de haute morale et de philosophie. La question s’était encore bien compliquée depuis mon retour. Avant-hier donc, j’ai réuni ceux de mes amis auxquels j’accorde le plus de probité, de délicatesse et d’honneur. J’avais invité deux Anglais, un secrétaire d’ambassade et un puritain ; un ancien ministre dans toute la maturité de la politique ; des jeunes gens encore sous le charme de l’innocence ; un prêtre, un vieillard ; puis mon ancien tuteur, homme naïf, qui m’a rendu le plus beau compte de tutelle dont la mémoire soit restée au Palais ; un avocat, un notaire, un juge, enfin toutes les opinions sociales, toutes les vertus pratiques. Nous avons commencé par bien dîner, bien parler, bien crier ; puis, au dessert, j’ai raconté naïvement mon histoire, et demandé quelque bon avis en cachant le nom de ma prétendue.

— Conseillez-moi, mes amis, leur dis-je en terminant. Discutez longuement la question, comme s’il s’agissait d’un projet de loi. L’urne et les boules du billard vont vous être apportées, et vous voterez pour ou contre mon mariage, dans tout le secret voulu par un scrutin !

Un profond silence régna soudain. Le notaire se récusa.

— Il y a, dit-il, un contrat à faire.

Le vin avait réduit mon ancien tuteur au silence, et il fallait le mettre en tutelle pour qu’il ne lui arrivât aucun malheur en retournant chez lui.

— Je comprends ! m’écriai-je. Ne pas donner son opinion, c’est me dire énergiquement ce que je dois faire.

Il y eut un mouvement dans l’assemblée.

Un propriétaire qui avait souscrit pour les enfants et la tombe du général Foy, s’écria :

— Ainsi que la vertu le crime a ses degrés !

— Bavard ! me dit l’ancien ministre à voix basse en me poussant le coude.

— Où est la difficulté ? demanda un duc dont la fortune consiste en biens confisqués à des protestants réfractaires lors de la révocation de l’édit de Nantes.

L’avocat se leva : — En droit, l’espèce qui nous est soumise ne