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en sont atroces. Un jour, ce malheureux Taillefer ayant eu un accès pendant son séjour à ma terre, j’ai été obligée d’aller chez une de mes voisines pour ne pas l’entendre ; il pousse des cris terribles, il veut se tuer ; sa fille fut alors forcée de le faire attacher sur son lit, et de lui mettre la camisole des fous. Ce pauvre homme prétend avoir dans la tête des animaux qui lui rongent la cervelle : c’est des élancements, des coups de scie, des tiraillements horribles dans l’intérieur de chaque nerf. Il souffre tant à la tête qu’il ne sentait pas les moxas qu’on lui appliquait jadis pour essayer de le distraire ; mais monsieur Brousson, qu’il a pris pour médecin les a défendus, en prétendant que c’était une affection nerveuse, une inflammation de nerfs, pour laquelle il fallait des sangsues au cou et de l’opium sur la tête ; et, en effet, les accès sont devenus plus rares, et n’ont plus paru que tous les ans, vers la fin de l’automne. Quand il est rétabli, Taillefer répète sans cesse qu’il aurait mieux aimé être roué, que de ressentir de pareilles douleurs.

— Alors, il paraît qu’il souffre beaucoup, dit un agent de change, le bel esprit du salon.

— Oh ! reprit-elle, l’année dernière il a failli périr. Il était allé seul à sa terre, pour une affaire pressante ; faute de secours peut-être, il est resté vingt-deux heures étendu raide, et comme mort. Il n’a été sauvé que par un bain très-chaud.

— C’est donc une espèce de tétanos ? demanda l’agent de change.

— Je ne sais pas, reprit-elle. Voilà près de trente ans qu’il jouit de cette maladie gagnée aux armées ; il lui est entré, dit-il, un éclat de bois dans la tête en tombant dans un bateau ; mais Brousson espère le guérir. On prétend que les Anglais ont trouvé le moyen de traiter sans danger cette maladie-là par l’acide prussique.

En ce moment, un cri plus perçant que les autres retentit dans la maison et nous glaça d’horreur.

— Eh ! bien, voilà ce que j’entendais à tout moment, reprit la femme du banquier. Cela me faisait sauter sur ma chaise et m’agaçait les nerfs. Mais, chose extraordinaire ! ce pauvre Taillefer, tout en souffrant des douleurs inouïes, ne risque jamais de mourir. Il mange et boit comme à l’ordinaire pendant les moments de répit que lui laisse cet horrible supplice (la nature est bien bizarre !). Un médecin allemand lui a dit que c’était une espèce de goutte à la tête ; cela s’accorderait assez avec l’opinion de Brousson.