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prie, la jeune personne qui entre en ce moment dans le salon.

— Eh ! bien ?

— Je l’ai vue il y a trois jours au bal de l’ambassadeur de Naples ; j’en suis devenu passionnément amoureux. De grâce, dites-moi son nom. Personne n’a pu…

— C’est mademoiselle Victorine Taillefer !

J’eus un éblouissement.

— Sa belle-mère, me disait ma voisine, dont j’entendis à peine la voix, l’a retirée depuis peu du couvent où s’est tardivement achevée son éducation. Pendant longtemps son père a refusé de la reconnaître. Elle vient ici pour la première fois. Elle est bien belle et bien riche.

Ces paroles furent accompagnées d’un sourire sardonique. En ce moment, nous entendîmes des cris violents, mais étouffés. Ils semblaient sortir d’un appartement voisin et retentissaient faiblement dans les jardins.

— N’est-ce pas la voix de monsieur Taillefer ? m’écriai-je.

Nous prêtâmes au bruit toute notre attention, et d’épouvantables gémissements parvinrent à nos oreilles. La femme du banquier accourut précipitamment vers nous, et ferma la fenêtre.

— Évitons les scènes, nous dit-elle. Si mademoiselle Taillefer entendait son père, elle pourrait bien avoir une attaque de nerfs !

Le banquier rentra dans le salon, y chercha Victorine, et lui dit un mot à voix basse. Aussitôt la jeune personne jeta un cri, s’élança vers la porte et disparut. Cet événement produisit une grande sensation. Les parties cessèrent. Chacun questionna son voisin. Le murmure des voix grossit, et des groupes se formèrent.

M. Taillefer se serait-il… demandai-je.

— Tué, s’écria ma railleuse voisine. Vous en porteriez gaiement le deuil, je pense !

— Mais que lui est-il donc arrivé ?

— Le pauvre bonhomme, répondit la maîtresse de la maison, est sujet à une maladie dont je n’ai pu retenir le nom, quoique monsieur Brousson me l’ait dit assez souvent, et il vient d’en avoir un accès.

— Quel est donc le genre de cette maladie ? demanda soudain un juge d’instruction.

— Oh ! c’est un terrible mal, monsieur, répondit-elle. Les médecins n’y connaissent pas de remède. Il paraît que les souffrances