Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/388

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Oh ! n’achevez pas ! s’écria la jeune personne qui avait demandé cette histoire, et qui interrompit alors brusquement le Nurembergeois. Je veux demeurer dans l’incertitude et croire qu’il a été sauvé. Si j’apprenais aujourd’hui qu’il a été fusillé, je ne dormirais pas cette nuit. Demain vous me direz le reste.

Nous nous levâmes de table. En acceptant le bras de monsieur Hermann, ma voisine lui dit : — Il a été fusillé, n’est-ce pas.

— Oui. Je fus témoin de l’exécution.

— Comment, monsieur, dit-elle, vous avez pu…

— Il l’avait désiré, madame. Il y a quelque chose de bien affreux à suivre le convoi d’un homme vivant, d’un homme que l’on aime, d’un innocent ! Ce pauvre jeune homme ne cessa pas de me regarder. Il semblait ne plus vivre qu’en moi ! Il voulait, disait-il, que je reportasse son dernier soupir à sa mère.

— Eh ! bien, l’avez-vous vue ?

— À la paix d’Amiens, je vins en France pour apporter à la mère cette belle parole : — Il était innocent. J’avais religieusement entrepris ce pèlerinage. Mais madame Magnan était morte de consomption. Ce ne fut pas sans une émotion profonde que je brûlai la lettre dont j’étais porteur. Vous vous moquerez peut-être de mon exaltation germanique, mais je vis un drame de mélancolie sublime dans le secret éternel qui allait ensevelir ces adieux jetés entre deux tombes, ignorés de toute la création, comme un cri poussé au milieu du désert par le voyageur que surprend un lion.

— Et si l’on vous mettait face à face avec un des hommes qui sont dans ce salon, en vous disant : — Voilà le meurtrier ! ne serait-ce pas un autre drame ? lui demandai-je en l’interrompant, Et que feriez-vous ?

Monsieur Hermann alla prendre son chapeau et sortit.

— Vous agissez en jeune homme, et bien légèrement, me dit ma voisine. Regardez Taillefer ! tenez ! assis dans la bergère, là, au coin de la cheminée, mademoiselle Fanny lui présente une tasse de café. Il sourit. Un assassin, que le récit de cette aventure aurait dû mettre au supplice, pourrait-il montrer tant de calme ? N’a-t-il pas un air vraiment patriarcal ?

— Oui, mais allez lui demander s’il a fait la guerre en Allemagne, m’écriai-je.