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le prince en posant sa main sur les touffes de cheveux noirs qui se pressaient au-dessus du front de Vendramin.

— Oh ! s’il nous aime, dit Massimilla, il renoncera bientôt à son triste opium.

— Je guérirai votre ami, dit le Français.

— Faites cette cure, et nous vous aimerons, dit Massimilla ; mais si vous ne nous calomniez point à votre retour en France, nous vous aimerons encore davantage. Pour être jugés, les pauvres Italiens sont trop énervés par de pesantes dominations ; car nous avons connu la vôtre, ajouta-t-elle en souriant.

— Elle était plus généreuse que celle de l’Autriche, répliqua vivement le médecin.

— L’Autriche nous pressure sans rien nous rendre, et vous nous pressuriez pour agrandir et embellir nos villes, vous nous stimuliez en nous faisant des armées. Vous comptiez garder l’Italie, et ceux-ci croient qu’ils la perdront, voilà toute la différence. Les Autrichiens nous donnent un bonheur stupéfiant et lourd comme eux, tandis que vous nous écrasiez de votre dévorante activité. Mais mourir par les toniques, ou mourir par les narcotiques, qu’importe ! n’est-ce pas toujours la mort, monsieur le docteur ?

— Pauvre Italie ! elle est à mes yeux comme une belle femme à qui la France devrait servir de défenseur, en la prenant pour maîtresse, s’écria le médecin.

— Vous ne sauriez pas nous aimer à notre fantaisie, dit la duchesse en souriant. Nous voulons être libres, mais la liberté que je veux n’est pas votre ignoble et bourgeois libéralisme qui tuerait les Arts. Je veux, dit-elle d’un son de voix qui fit tressaillir toute la loge, c’est-à-dire, je voudrais que chaque république italienne renaquît avec ses nobles, avec son peuple et ses libertés spéciales pour chaque caste. Je voudrais les anciennes républiques aristocratiques avec leurs luttes intestines, avec leurs rivalités qui produisirent les plus belles œuvres de l’art, qui créèrent la politique, élevèrent les plus illustres maisons princières. Etendre l’action d’un gouvernement sur une grande surface de terre, c’est l’amoindrir. Les républiques italiennes ont été la gloire de l’Europe au Moyen age. Pourquoi l’Italie a-t-elle succombé, là où les Suisses, ses portiers, ont vaincu ?

— Les républiques suisses, dit le médecin, étaient de bonnes femmes de ménage occupées de leurs petites affaires, et qui n’avaient