Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/358

Cette page n’a pas encore été corrigée

vent ! S’il est de galerne, dit-il en nous montrant l’ouest, ils ne continueraient pas leur chemin quand il s’agirait d’aller quérir un morceau de la vraie croix ; ils retournent, ils ont peur. D’autres, les riches du Croisic, disent que Cambremer a fait un vœu, d’où son nom d’Homme-au-vœu. Il est là nuit et jour, sans en sortir. Ces dires ont une apparence de raison. Voyez-vous, dit-il en se retournant pour nous montrer une chose que nous n’avions pas remarquée, il a planté là, à gauche, une croix de bois pour annoncer qu’il s’est mis sous la protection de Dieu, de la sainte Vierge et des saints. Il ne se serait pas sacré comme ça, que la frayeur qu’il donne au monde fait qu’il est là en sûreté comme s’il était gardé par de la troupe. Il n’a pas dit un mot [Coquille du Furne : Il n’a pas un dit mot.] depuis qu’il s’est enfermé en plein air ; il se nourrit de pain et d’eau que lui apporte tous les matins la fille de son frère, une petite tronquette de douze ans à laquelle il a laissé ses biens, et qu’est une jolie créature, douce comme un agneau, une bien mignonne fille, bien plaisante. Elle vous a, dit-il en montrant son pouce, des yeux bleus </nowiki>longs comme ça, sous une chevelure de chérubin. Quand on lui demande : Dis donc, Pérotte ?… (Ça veut dire chez nous Pierrette, fit-il en s’interrompant ; elle est vouée à saint Pierre, Cambremer s’appelle Pierre, il a été son parrain.) — Dis donc, Pérotte, reprit-il, qué qui te dit ton oncle ? — Il ne me dit rin, qu’elle répond, rin du tout, rin — Eh ! ben, qué qu’il te fait ? — Il m’embrasse au front le dimanche. — Tu n’en as pas peur ? — Ah ! ben, qu’a dit, il est mon parrain. Il n’a pas voulu d’autre personne pour lui apporter à manger. Pérotte prétend qu’il sourit quand elle vient, mais autant dire un rayon de soleil dans la brouine, car on dit qu’il est nuageux comme un brouillard.

— Mais, lui dis-je, vous excitez notre curiosité sans la satisfaire. Savez-vous ce qui l’a conduit là ? Est-ce le chagrin, est-ce le repentir, est-ce une manie, est-ce un crime, est-ce,…

— Eh ! monsieur, il n’y a guère que mon père et moi qui sachions la vérité de la chose. Défunt ma mère servait un homme de justice à qui Cambremer a tout dit par ordre du prêtre qui ne lui a donné l’absolution qu’à cette condition-là, à entendre les gens du port. Ma pauvre mère a entendu Cambremer sans le vouloir, parce que la cuisine du justicier était à côté de sa salle, elle a écouté ! Elle est morte ; le juge qu’a écouté est défunt aussi. Ma mère nous a fait promettre, à mon père et à moi, de n’en rin afférer aux gens du