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grossière, et comme noirci par un éclat de foudre. En voyant ses mains poilues et dures, j’aperçus des nerfs qui ressemblaient à des veines de fer. D’ailleurs, tout en lui dénotait une constitution vigoureuse. Je remarquai dans un coin de la grotte une assez grande quantité de mousse, et sur une grossière tablette taillée par le hasard au milieu du granit, un pain rond cassé qui couvrait une cruche de grès. Jamais mon imagination, quand elle me reportait vers les déserts où vécurent les premiers anachorètes de la chrétienté, ne m’avait dessiné de figure plus grandement religieuse ni plus horriblement repentante que l’était celle de cet homme. Vous qui avez pratiqué le confessionnal, mon cher oncle, vous n’avez jamais peut-être vu un si beau remords, mais ce remords était noyé dans les ondes de la prière, la prière continue d’un muet désespoir. Ce pêcheur, ce marin, ce Breton grossier était sublime par un sentiment inconnu. Mais ces yeux avaient-ils pleuré ? Cette main de statue ébauchée avait-elle frappé ? Ce front rude empreint de probité farouche et sur lequel la force avait néanmoins laissé les vestiges de cette douceur qui est l’apanage de toute force vraie, ce front sillonné de rides, était-il en harmonie avec un grand cœur ? Pourquoi cet homme dans le granit ? Pourquoi ce granit dans cet homme ? Où était l’homme, où était le granit ? Il nous tomba tout un monde de pensées dans la tête. Comme l’avait supposé notre guide, nous passâmes en silence, promptement, et il nous revit émus de terreur ou saisis d’étonnement, mais il ne s’arma point contre </nowiki>nous de la réalité de ses prédictions.

— Vous l’avez vu ? dit-il.

— Quel est cet homme ? dis-je.

— On l’appelle l'Homme-au-vœu.

Vous figurez-vous bien à ce mot le mouvement par lequel nos deux têtes se tournèrent vers notre pêcheur ! C’était un homme simple ; il comprit notre muette interrogation, et voici ce qu’il nous dit dans son langage, auquel je tâche de conserver son allure populaire.

<nowiki>— Madame, ceux du Croisic comme ceux de Batz croient que cet homme est coupable de quelque chose, et fait une pénitence ordonnée par un fameux recteur auquel il est allé se confesser plus loin que Nantes. D’autres croient que Cambremer, c’est son nom, a une mauvaise chance qu’il communique à qui passe sous son air. Aussi plusieurs, avant de tourner sa roche, regardent-ils d’où vient le