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sans nous.

Bientôt la grande figure du marquis apparut. Il regarda le sang de ses enfants, se tourna vers les spectateurs muets et immobiles, étendit les mains vers Juanito, et dit d’une voix forte : -- Espagnols, je donne à mon fils ma bénédiction paternelle ! Maintenant, marquis, frappe sans peur, tu es sans reproche.

Mais quand Juanito vit approcher sa mère, soutenue par le confesseur. -- Elle m’a nourri, s’écria-t-il.

Sa voix arracha un cri d’horreur à l’assemblée. Le bruit du festin et les rires joyeux des officiers s’apaisèrent à cette terrible clameur. La marquise comprit que le courage de Juanito était épuisé, elle s’élança d’un bond par-dessus la balustrade, et alla se fendre la tête sur les rochers. Un cri d’admiration s’éleva. Juanito était tombé évanoui.

— Mon général, dit un officier à moitié ivre, Marchand vient de me raconter quelque chose de cette exécution, je parie que vous ne l’avez pas ordonnée…

— Oubliez-vous, messieurs, s’écria le général G..t..r, que, dans un mois, cinq cent familles françaises seront en larmes, et que nous sommes en Espagne ? Voulez-vous laisser nos os ici ?

Après cette allocution, il ne se trouva personne, pas même un sous-lieutenant, qui osât vider son verre.

Malgré les respects dont il est entouré, malgré le titre d’el verdugo ( le bourreau ) que le roi d’Espagne a donné comme titre de noblesse au marquis de Léganès, il est dévoré par le chagrin, il vit solitaire et se montre rarement. Accablé sous le fardeau de son admirable forfait, il semble attendre avec impatience que la naissance d’un second fils lui donne le droit de rejoindre les ombres qui l’accompagnent incessamment.

Paris, octobre 1820.