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— J’accours, lui dit-il d’une voix émue, vous demander des grâces.

— Vous ! reprit le général avec un ton d’ironie amère.

— Hélas ! répondit Victor, je demande de tristes grâces. Le marquis, en voyant planter les potences, a espéré que vous changeriez ce genre de supplice pour sa famille, et vous supplie de faire décapiter les nobles.

— Soit ! dit le général.

— Ils demandent encore qu’on leur accorde les secours de la religion, et qu’on les délivre de leurs liens ; ils promettent de ne pas chercher à fuir.

— J’y consens, dit le général ; mais vous m’en répondez.

— Le vieillard vous offre encore toute sa fortune si vous voulez pardonner à son jeune fils.

— Vraiment ! répondit le chef. Ses biens appartiennent déjà au roi Joseph. Il s’arrêta. Une pensée de mépris rida son front, et il ajouta : -- Je vais surpasser leur désir. Je devine l’importance de la dernière demande. Eh bien, qu’il achète l’éternité de son nom, mais que l’Espagne se souvienne à jamais de sa trahison et de son supplice ! Je laisse sa fortune et la vie à celui de ses fils qui remplira l’office de bourreau. Allez, et ne m’en parlez plus. Le dîner était servi. Les officiers attablés satisfaisaient un appétit que la fatigue avait aiguillonné. Un seul d’entre eux, Victor Marchand, manquait au festin. Après avoir hésité longtemps, il entra dans le salon où gémissait l’orgueilleuse famille de Léganès, et jeta des regards tristes sur le spectacle que présentait alors cette salle, où la surveille, il avait vu tournoyer, emportées par la valse, la tête des deux jeunes filles et des trois jeunes gens. Il frémit en pensant que dans peu elles devaient rouler, tranchées par le sabre du bourreau. Attachés sur leurs fauteuils dorés, le père et la mère, les trois enfants et les deux jeunes filles, restaient dans un état d’immobilité complète. Huit serviteurs étaient debout, les mains liées derrière le dos. Ces quinze personnes se regardaient gravement, et leurs yeux trahissaient à peine les sentiments qui les animaient. Une résignation profonde et le regret d’avoir échoué dans leur entreprise se lisaient sur quelques fronts. Des soldats immobiles les gardaient en respectant la douleur de ces cruels ennemis. Un mouvement de curiosité anima les visages quand Victor parut. Il donna l’ordre de délier les condamnés, et alla lui-même détacher