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les plus ingénieux de ce temps, et l’un de ceux qui ont le mieux observé l’Italie, Stendhal, a nommé un petit salon dont la fenêtre donne sur un parterre. En effet, la musique et les enchantements de la scène sont purement accessoires, le grand intérêt est dans les conversations qui s’y tiennent, dans les grandes petites affaires de cœur qui s’y traitent, dans les rendez-vous qui s’y donnent, dans les récits et les observations qui s’y parfilent. Le théâtre est la réunion économique de toute une société qui s’examine et s’amuse d’elle-même.

Les hommes admis dans la loge se mettent les uns après les autres, dans l’ordre de leur arrivée, sur l’un ou l’autre sofa. Le premier venu se trouve naturellement auprès de la maîtresse de la loge ; mais quand les deux sofas sont occupés, s’il arrive une nouvelle visite, le plus ancien brise la conversation, se lève et s’en va. Chacun avance alors d’une place, et passe à son tour auprès de la souveraine. Ces causeries futiles, ces entretiens sérieux, cet élégant badinage de la vie italienne, ne sauraient avoir lieu sans un laissez-aller général. Aussi les femmes sont-elles libres d’être ou de n’être pas parées, elles sont si bien chez elle qu’un étranger admis dans leur loge peut les aller voir le lendemain dans leur maison. Le voyageur ne comprend pas de prime abord cette vie de spirituelle oisiveté, ce dolce far niente embelli par la musique. Un long séjour, une habile observation, peuvent seuls révéler à un étranger le sens de la vie italienne qui ressemble au ciel pur du pays, et où le riche ne veut pas un nuage. Le noble se soucie peu du maniement de sa fortune ; il laisse l’administration de ses biens à des intendants (ragionati) qui le volent et le ruinent ; il n’a pas l’élément politique qui l’ennuierait bientôt, il vit donc uniquement par la passion, et il en remplit ses heures. De là, le besoin qu’éprouvent l’ami et l’amie d’être toujours en présence pour se satisfaire ou pour se garder, car le grand secret de cette vie est l’amant tenu sous le regard pendant cinq heures par une femme qui l’a occupé durant la matinée. Les mœurs italiennes comportent donc une continuelle jouissance et entraînent une étude des moyens propres à l’entretenir, cachée d’ailleurs sous une apparente insouciance. C’est une belle vie, mais une vie coûteuse, car dans aucun pays il ne se rencontre autant d’hommes usés.

La loge de la duchesse était au rez-de-chaussée, qui s’appelle à Venise pepiano ; elle s’y plaçait toujours de manière à recevoir la lueur de