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de Sucy a reçu une bien violente commotion, ses passions sont vives ; mais, chez lui, le premier coup porté décide de tout. Demain il sera peut-être hors de danger.

Le médecin ne se trompa point, et le lendemain il permit au magistrat de revoir son ami.

— Mon cher d’Albon, dit Philippe en lui serrant la main, j’attends de toi un service ! Cours promptement aux Bons-Hommes ! informe-toi de tout ce qui concerne la dame que nous y avons vue, et reviens promptement ; car je compterai les minutes.

Monsieur d’Albon sauta sur un cheval, et galopa jusqu’à l’ancienne abbaye. En y arrivant, il aperçut devant la grille un grand homme sec dont la figure était prévenante, et qui répondit affirmativement quand le magistrat lui demanda s’il habitait cette maison ruinée. Monsieur d’Albon lui raconta les motifs de sa visite.

— Eh ! quoi, monsieur, s’écria l’inconnu, serait-ce vous qui avez tiré ce coup de fusil fatal ? Vous avez failli tuer ma pauvre malade.

— Eh ! monsieur, j’ai tiré en l’air.

— Vous auriez fait moins de mal à madame la comtesse, si vous l’eussiez atteinte.

— Eh ! bien, nous n’avons rien à nous reprocher, car la vue de votre comtesse a failli tuer mon ami, monsieur de Sucy.

— Serait-ce le baron Philippe de Sucy ? s’écria le médecin en joignant les mains. Est-il allé en Russie, au passage de la Bérésina ?

— Oui, reprit d’Albon, il a été pris par des Cosaques et mené en Sibérie, d’où il est revenu depuis onze mois environ.

— Entrez, monsieur, dit l’inconnu en conduisant le magistrat dans un salon situé au rez-de-chaussée de l’habitation où tout portait les marques d’une dévastation capricieuse.

Des vases de porcelaine précieux étaient brisés à côté d’une pendule dont la cage était respectée. Les rideaux de soie drapés devant les fenêtres étaient déchirés, tandis que le double rideau de mousseline restait intact.

— Vous voyez, dit-il à monsieur d’Albon en entrant, les ravages exercés par la charmante créature à laquelle je me suis consacré. C’est ma nièce ; malgré l’impuissance de mon art, j’espère lui rendre un jour la raison, en essayant une méthode qu’il n’est malheureusement permis qu’aux gens riches de suivre.

Puis, comme toutes les personnes qui vivent dans la solitude, en