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Ces paroles étaient une exclamation d’enthousiasme arrachée au conseiller par l’aspect d’un mur dont la couleur blanchâtre tranchait, dans le lointain, sur la masse brune des troncs noueux de la forêt.

— Ah ! ah ! ceci m’a l’air d’être quelque ancien prieuré, s’écria derechef le marquis d’Albon en arrivant à une grille antique et noire, d’où il put voir, au milieu d’un parc assez vaste, un bâtiment construit dans le style employé jadis pour les monuments monastiques. — Comme ces coquins de moines savaient choisir un emplacement !

Cette nouvelle exclamation était l’expression de l’étonnement que causait au magistrat le poétique ermitage qui s’offrait à ses regards. La maison était située à mi-côte, sur le revers de la montagne, dont le sommet est occupé par le village de Nerville. Les grands chênes séculaires de la forêt, qui décrivait un cercle immense autour de cette habitation, en faisaient une véritable solitude. Le corps de logis jadis destiné aux moines avait son exposition au midi. Le parc paraissait avoir une quarantaine d’arpents. Auprès de la maison, régnait une verte prairie, heureusement découpée par plusieurs ruisseaux clairs, par des nappes d’eau gracieusement posées, et sans aucun artifice apparent. Çà et là s’élevaient des arbres verts aux formes élégantes, aux feuillages variés. Puis, des grottes habilement ménagées, des terrasses massives avec leurs escaliers dégradés et leurs rampes rouillées imprimaient une physionomie particulière à cette sauvage Thébaïde. L’art y avait élégamment uni ses constructions aux plus pittoresques effets de la nature. Les passions humaines semblaient devoir mourir aux pieds de ces grands arbres qui défendaient l’approche de cet asile aux bruits du monde, comme ils y tempéraient les feux du soleil.

— Quel désordre ! se dit monsieur d’Albon après avoir joui de la sombre expression que les ruines donnaient à ce paysage, qui paraissait frappé de malédiction. C’était comme un lieu funeste abandonné par les hommes. Le lierre avait étendu partout ses nerfs tortueux et ses riches manteaux. Des mousses brunes, verdâtres, jaunes ou rouges répandaient leurs teintes romantiques sur les arbres, sur les bancs, sur les toits, sur les pierres. Les fenêtres vermoulues étaient usées par la pluie, creusées par le temps ; les balcons étaient brisés, les terrasses démolies. Quelques persiennes ne tenaient plus que par un de leurs gonds. Les portes disjointes paraissaient ne