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ses mains et se tâter le visage ; il eut un mouvement de joie en voyant qu’il n’avait aucune tache de sang, l’épanchement s’était sans doute fait dans le corps même de la victime. Mais cette toilette de criminel prit du temps. Il monta chez Juana, dans un maintien calme, posé, comme peut l’être celui d’un homme qui revient se coucher après être allé au spectacle. En gravissant les marches de l’escalier, il put réfléchir à sa position, et la résuma en deux mots : sortir et gagner le port. Ces idées il ne les pensa pas, il les trouvait écrites en lettres de feu dans l’ombre. Une fois au port, se cacher pendant le jour, revenir chercher le trésor à la nuit ; puis se mettre, comme un rat, à fond de cale d’un bâtiment, et partir sans que personne ne se doutât qu’il fût dans ce vaisseau. Pour tout cela, de l’or avant toute chose ! Et il n’avait rien. La femme de chambre vint l’éclairer.

— Félicie, lui dit-il, n’entendez-vous pas du bruit dans la rue, des cris ; allez en savoir la cause, vous me la direz…

Vêtue de ses blancs ajustements de nuit, sa femme était assise à une table, et faisait lire Francisque et Juan dans un Cervantes espagnol, où tous deux suivaient le texte pendant qu’elle le leur prononçait à haute voix. Ils s’arrêtèrent tous trois et regardèrent Diard qui restait debout, les mains dans ses poches, étonné peut-être de se trouver dans le calme de cette scène, si douce de lueur, embellie par les figures de cette femme et de ces deux enfants. C’était un tableau vivant de la Vierge entre son fils et saint Jean.

— Juana, j’ai quelque chose à te dire.

— Qu’y a-t-il ? demanda-t-elle en devinant sous la pâleur jaune de son mari le malheur qu’elle avait attendu chaque jour.

— Ce n’est rien, mais je voudrais te parler… à toi… seule.

Et il regarda fixement ses deux fils.

— Mes chers petits, allez dans votre chambre et couchez-vous, dit Juana. Dites vos prières sans moi.

Les deux fils sortirent en silence et avec l’incurieuse obéissance des enfants bien élevés.

— Ma chère Juana, reprit Diard d’une voix caressante, je t’ai laissé bien peu d’argent, et j’en suis désolé maintenant. Ecoute, depuis que je t’ai ôté les soucis de ta maison en te donnant une pension, n’aurais-tu pas fait, comme toutes les femmes, quelques petites économies ?

— Non, répondit Juana, je n’ai rien. Vous n’aviez pas compté