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il faisait une contrebande légale. Pour peindre d’un seul mot ce haut négoce, il demanda tant pour cent sur l’achat des quinze voix législatives qui, dans l’espace d’une nuit, passèrent des bancs de la Gauche aux bancs de la Droite. Ces actions ne sont plus ni des crimes ni des vols, c’est faire du gouvernement, commanditer l’industrie, être une tête financière. Diard fut assis par l’opinion publique sur le banc d’infamie, où siégeait déjà plus d’un homme habile. Là, se trouve l’aristocratie du mal. C’est la chambre haute des scélérats de bon ton. Diard ne fut donc pas un joueur vulgaire que le drame représente ignoble et finissant par mendier. Ce joueur n’existe plus dans le monde à une certaine hauteur topographique. Aujourd’hui, ces hardis coquins meurent brillamment attelés au vice et sous le harnais de la fortune. Ils vont se brûler la cervelle en carrosse et emportent tout ce dont on leur a fait crédit. Du moins, Diard eut le talent de ne pas acheter ses remords au rabais, et se fit un de ces hommes privilégiés. Ayant appris tous les ressorts du gouvernement, tous les secrets et les passions des gens en place, il sut se maintenir à son rang dans la fournaise ardente où il s’était jeté. Madame Diard ignorait la vie infernale que menait son mari. Satisfaite de l’abandon dans lequel il la laissait, elle ne s’en étonna pas d’abord, parce que toutes ses heures furent bien remplies. Elle avait consacré son argent à l’éducation de ses enfants, à payer un très-habile précepteur et tous les maîtres nécessaires pour un enseignement complet ; elle voulait faire d’eux des hommes, leur donner une raison droite, sans déflorer leur imagination ; n’ayant plus de sensations que par eux, elle ne souffrait donc plus de sa vie décolorée, ils étaient, pour elle, ce que sont les enfants, pendant longtemps, pour beaucoup de mères, une sorte de prolongement de leur existence. Diard n’était plus qu’un accident ; et depuis que Diard avait cessé d’être le père, le chef de la famille, Juana ne tenait plus à lui que par les liens de parade socialement imposés aux époux. Néanmoins, elle élevait ses enfants dans le plus haut respect du pouvoir paternel, quelque imaginaire qu’il était pour eux ; mais elle fut très-heureusement secondée par la continuelle absence de son mari. S’il était resté au logis, Diard aurait détruit les efforts de Juana. Ses enfants avaient déjà trop de tact et de finesse pour ne pas juger leur père. Juger son père, est un parricide moral. Cependant, à la longue, l’indifférence de Juana pour son mari s’effaça. Ce senti-