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leurs clubs, rarement chez eux, mais ils jouèrent tous avec lui. Diard devint à la mode. Par orgueil, une fois ou deux pendant l’hiver, il donnait une fête pour rendre les politesses qu’il avait reçues. Alors Juana revoyait le monde par ces échappées de festins, de bals, de luxe, de lumières ; mais c’était pour elle une sorte d’impôt mis sur le bonheur de sa solitude. Elle apparaissait, elle, la reine de ces solennités, comme une créature tombée là, d’un monde inconnu. Sa naïveté, que rien n’avait corrompue ; sa belle virginité d’âme, que les mœurs nouvelles de sa nouvelle vie lui restituaient ; sa beauté, sa modestie vraie lui acquéraient de sincères hommages. Mais, apercevant peu de femmes dans ses salons, elle comprenait que si son mari suivait, sans le lui communiquer, un nouveau plan de conduite, il n’avait encore rien gagné en estime, dans le monde.

Diard ne fut pas toujours heureux ; en trois ans, il dissipa les trois quarts de sa fortune ; mais sa passion lui donna l’énergie nécessaire pour la satisfaire. Il s’était lié avec beaucoup de monde, et surtout avec la plupart de ces roués de la Bourse, avec ces hommes qui, depuis la révolution, ont érigé en principe qu’un vol, fait en grand, n’est plus qu’une noirceur, transportant ainsi, dans les coffres-forts, les maximes effrontées adoptées en amour par le dix-huitième siècle. Diard devint homme d’affaires, et s’engagea dans ces affaires nommées véreuses en argot de palais. Il sut acheter à de pauvres diables, qui ne connaissaient pas les bureaux, des liquidations éternelles qu’il terminait en une soirée, en en partageant les gains avec les liquidateurs. Puis, quand les dettes liquides lui manquèrent, il en chercha de flottantes, et déterra, dans les États européens, barbaresques ou américains, des réclamations en déchéance qu’il faisait revivre. Lorsque la Restauration eut éteint les dettes des princes, de la République et de l’Empire, il se fit allouer des commissions sur des emprunts, sur des canaux, sur toute espèce d’entreprises. Enfin, il pratiqua le vol décent auquel se sont adonnés tant d’hommes habilement masqués, ou cachés dans les coulisses du théâtre politique ; vol qui, fait dans la rue, à la lueur d’un réverbère, enverrait au bagne un malheureux, mais que sanctionne l’or des moulures et des candélabres. Diard accaparait et revendait les sucres, il vendait des places, il eut la gloire d’inventer l’homme de paille pour les emplois lucratifs qu’il était nécessaire de garder pendant un certain temps, avant d’en avoir d’autres. Puis, il méditait les primes, il étudiait le défaut des lois,