L’avenir était bien sombre pour cette jeune femme. Elle vivait toujours dans l’appréhension d’un malheur, sans savoir d’où pourrait venir ce malheur. Ce pressentiment était dans son âme comme une contagion est dans l’air ; mais elle savait trouver la force de déguiser ses angoisses sous des sourires. Elle en était venue à ne plus penser à elle. Juana se servit de son influence pour faire abdiquer à Diard toutes ses prétentions, et lui montrer, comme un asile, la vie douce et bienfaisante du foyer domestique. Les maux venaient du monde, ne fallait-il pas bannir le monde ? Chez lui, Diard trouverait la paix, le respect ; il y régnerait. Elle se sentait assez forte pour accepter la rude tâche de le rendre heureux, lui, mécontent de lui-même. Son énergie s’accrut avec les difficultés de la vie, elle eut tout l’héroïsme secret nécessaire à sa situation, et fut inspirée par ces religieux désirs qui soutiennent l’ange chargé de protéger une âme chrétienne : superstitieuse poésie, images allégoriques de nos deux natures.
Diard abandonna ses projets, ferma sa maison et vécut dans son intérieur, s’il est permis d’employer une expression si familière. Mais là fut l’écueil. Le pauvre militaire avait une de ces âmes tout excentriques auxquelles il faut un mouvement perpétuel. Diard était un de ces hommes instinctivement forcés à repartir aussitôt qu’ils sont arrivés, et dont le but vital semble être d’aller et de venir sans cesse, comme les roues dont parle l’Ecriture sainte. D’ailleurs peut-être cherchait-il à se fuir lui-même. Sans se lasser de Juana, sans pouvoir accuser Juana, sa passion pour elle, devenue plus calme par la possession, le rendit à son caractère. Dès lors, ses moments d’abattement furent plus fréquents, et il se livra souvent à ses vivacités méridionales. Plus une femme est vertueuse et plus elle est irréprochable, plus un homme aime à la trouver en faute, quand ce ne serait que pour faire acte de sa supériorité légale ; mais si par hasard elle lui est complétement imposante, il éprouve le besoin de lui forger des torts. Alors, entre époux, les riens grossissent et deviennent des Alpes. Mais Juana, patiente sans orgueil, douce sans cette amertume que les femmes savent jeter dans leur soumission, ne laissait aucune prise à la méchanceté calculée, la plus âpre de toutes les méchancetés. Puis, elle était une de ces nobles créatures auxquelles il est impossible de manquer ; son regard, dans lequel sa vie éclatait, sainte et pure, son regard de martyre avait la pesanteur d’une fascination. Diard, gêné d’abord,