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milieu les plus belles fresques ; genre si ruineux que le Louvre n’en possède pas deux, et que le faste de Louis XIV recula devant de telles profusions pour Versailles. Partout le marbre, le bois et les étoffes avaient servi de matière à des œuvres précieuses. Emilio poussa une porte en chêne sculpté, traversa cette longue galerie qui s’étend à chaque étage d’un bout à l’autre, dans les palais de Venise, et arriva devant une autre porte bien connue qui lui fit battre le cœur. A son aspect, la dame de compagnie sortit d’un immense salon, et le laissa entrer dans un cabinet de travail où il trouva la duchesse à genoux devant une madone. Il venait s’accuser et demander pardon, Massimilla priant le transforma. Lui et Dieu, pas autre chose dans ce cœur ! La duchesse se releva simplement, tendit la main à son ami, qui ne la prit pas.

— Gianbattista ne vous a donc pas rencontré hier ? lui dit-elle.

— Non, répondit-il.

— Ce contre-temps m’a fait passer une cruelle nuit, je craignais tant que vous ne rencontrassiez le duc, dont la perversité m’est si connue ! quelle idée a eue Vendramini de lui louer votre palais !

— Une bonne idée, Milla, car ton prince est peu fortuné.

Massimilla était si belle de confiance, si magnifique de beauté, si calmée par la présence d’Emilio, qu’en ce moment le prince éprouva, tout éveillé, les sensations de ce cruel rêve qui tourmente les imaginations vives, et dans lequel, après être venu, dans un bal plein de femmes parées, le rêveur s’y voit tout à coup nu, sans chemise ; la honte, la peur le flagellent tour à tour, et le réveil seul le délivre de ses angoisses. L’âme d’Emilio se trouvait ainsi devant sa maîtresse. Jusqu’alors cette âme avait été revêtue des plus belles fleurs du sentiment, la débauche l’avait mise dans un état ignoble, et lui seul le savait ; car la belle Florentine accordait tant de vertus à son amour, que l’homme aimé par elle devait être incapable de contracter la moindre souillure. Comme Emilio n’avait pas accepté sa main, la duchesse se leva pour passer ses doigts dans les cheveux qu’avait baisés la Tinti. Elle sentit alors la main d’Emilio moite, et lui vit le front humide.

— Qu’avez-vous ? lui-dit-elle d’une voix à laquelle la tendresse donna la douceur d’une flûte.

— Je n’ai jamais connu qu’en ce moment la profondeur de mon amour, répondit Emilio.

— Hé ! bien, chère idole, que veux-tu ? reprit-elle.