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Elle avait eu de la force pour supporter les souffrances, elle n’en avait plus pour sa joie. La joie était plus violente que sa douleur, car elle contenait les échos de la douleur et les angoisses de la joie.

— Cependant, dit-elle, comment avez-vous fait ? Tarragone a été prise d’assaut.

— Oui, reprit Perez. Mais en me voyant vivant, comment m’avez-vous fait une question ? Ne fallait-il pas me tuer pour arriver à Juana ?

À cette réponse, la courtisane saisit la main calleuse de Perez, et la baisa en y jetant des larmes qui lui vinrent aux yeux. C’était tout ce qu’elle avait de plus précieux sous le ciel, elle qui ne pleurait jamais.

— Bon Perez, dit-elle enfin. Mais vous devez avoir eu des militaires à loger ?

— Un seul, répondit l’Espagnol. Par bonheur, nous avons le plus loyal des hommes, un homme jadis Espagnol, un Italien qui hait Bonaparte ; un homme marié, un homme froid… Il se lève tard et se couche de bonne heure. Il est même malade en ce moment.

— Un Italien ! Quel est son nom ?

— Le capitaine Montefiore…

— Alors ce ne peut pas être le marquis de Montefiore…

— Si, sénora, lui-même.

— A-t-il vu Juana ?

— Non, dit dona Lagounia.

— Vous vous trompez, ma femme, reprit Perez. Le marquis a dû voir Juana pendant un bien court instant, il est vrai ; mais je pense qu’il l’aura regardée le jour où elle est entrée ici pendant le souper.

— Ah ! je veux voir ma fille.

— Rien de plus facile, dit Perez. Elle dort. Si elle a laissé la clef dans la serrure, il faudra cependant la réveiller.

En se levant pour prendre la double clef de la porte, les yeux du marchand tombèrent par hasard sur la haute croisée. Alors, dans le cercle de lumière projeté sur la noire muraille de la cour intérieure, par la grande vitre ovale de la cellule, il aperçut la silhouette d’un groupe que, jusqu’au gracieux Canova, nul autre sculpteur n’aurait su deviner. L’Espagnol se retourna.