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chez lui s’il survenait le plus léger incident. L’Italien avait revêtu son plus bel uniforme, il avait parfumé sa noire chevelure, et s’était donné l’éclat particulier que la toilette et les soins prêtent aux beautés naturelles ; en semblable occurrence, la plupart des hommes sont aussi femmes qu’une femme. Montefiore put arriver sans encombre à la porte secrète du cabinet où la jeune fille avait été logée, cachette pratiquée dans un coin de la maison, élargie en cet endroit par un de ces rentrants capricieux assez fréquents là où les hommes sont obligés, par la cherté du terrain, de serrer leurs maisons les unes contre les autres. Cette cellule appartenait exclusivement à Juana, qui s’y tenait pendant le jour, loin de tous les regards. Jusqu’alors, elle avait couché près de sa mère adoptive ; mais l’exiguïté des mansardes où s’étaient réfugiés les deux époux ne leur avait pas permis de prendre avec eux leur pupille. Dona Lagounia avait donc laissé la jeune fille sous la garde et la clef de la porte secrète, sous la protection des idées religieuses les plus efficaces, car elles étaient devenues des superstitions, et sous la défense d’une fierté naturelle, d’une pudeur de sensitive qui faisaient de la jeune Mancini une exception dans son sexe : elle en avait également les vertus les plus touchantes et les inspirations les plus passionnées ; aussi avait-il fallu la modestie, la sainteté de cette vie monotone pour calmer et rafraîchir ce sang brûlé des Marana qui pétillait dans son cœur, et que sa mère adoptive appelait des tentations du démon. Un léger sillon de lumière, tracé sur le plancher par la fente de la porte, permit à Montefiore d’en voir la place ; il y gratta doucement, Juana ouvrit. Montefiore entra tout palpitant, et reconnut en la recluse une expression de naïve curiosité, l’ignorance la plus complète de son péril, et une sorte d’admiration candide. Il resta pendant un moment frappé par la sainteté du tableau qui s’offrait à ses regards.

Sur les murs une tapisserie à fond gris parsemée de fleurs violettes ; un petit bahut d’ébène, un antique miroir, un immense et vieux fauteuil également en ébène et couvert en tapisserie ; puis une table à pieds contournés ; sur le plancher un joli tapis ; auprès de la table une chaise : voilà tout. Mais sur la table, des fleurs et un ouvrage de broderie ; mais au fond, un lit étroit et mince sur lequel Juana rêvait ; au-dessus du lit, trois tableaux ; au chevet, un crucifix à bénitier, une prière écrite en lettres d’or et encadrée. Les fleurs exhalaient de faibles parfums, les bougies répandaient une douce