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superstitieux. Après avoir préservé sa vieille maison d’une ruine déshonorante, la présence de cette céleste créature n’y avait-elle pas amené des prospérités inouïes ? Sa femme, âme d’or et pleine de délicatesse, en avait fait une enfant religieuse, pure autant que belle. Juana pouvait être aussi bien l’épouse d’un seigneur que d’un riche commerçant, elle ne faillirait à aucune des vertus nécessaires en ses brillantes destinées ; sans les événements, Perez, qui avait rêvé d’aller à Madrid, l’eût mariée à quelque grand d’Espagne.

— Je ne sais où est aujourd’hui la Marana, dit Perez en terminant ; mais, en quelque lieu du monde qu’elle puisse être, si elle apprend et l’occupation de notre province par vos armées, et le siége de Tarragone, elle doit être en route pour y venir, afin de veiller sur sa fille.

Ce récit changea les déterminations du capitaine italien, il ne voulut plus faire de Juana de Mancini la marquise de Montefiore. Il reconnut le sang des Marana dans l’œillade que la jeune fille avait échangée avec lui à travers la jalousie, dans la ruse qu’elle venait d’employer pour servir sa curiosité, dans le dernier regard qu’elle lui avait jeté. Ce libertin voulait pour épouse une femme vertueuse. Cette aventure était pleine de périls, mais de ces périls dont ne s’épouvante jamais l’homme le moins courageux, car ils avivent l’amour et ses plaisirs. L’apprenti couché sur les comptoirs, la servante au bivouac dans la cuisine, Perez et sa femme ne dormant sans doute que du sommeil des vieillards, la sonorité de la maison, une surveillance de dragon pendant le jour, tout était obstacle, tout faisait de cet amour un amour impossible. Mais Montefiore avait pour lui, contre tant d’impossibilités, le sang des Marana qui pétillait au cœur de cette curieuse Italienne, Espagnole par les mœurs, vierge de fait, impatiente d’aimer. La passion, la fille et Montefiore pouvaient tous trois défier l’univers entier.

Montefiore, poussé autant par l’instinct des hommes à bonnes fortunes que par ces espérances vagues que l’on ne s’explique point et auxquelles nous donnons le nom de pressentiment, mot d’une étonnante vérité, Montefiore passa les premières heures de cette nuit à sa croisée, occupé à regarder au-dessous de lui, dans la situation présumée de la cachette où les deux époux avaient logé l’amour et la joie de leur vieillesse. Le magasin de l’entre-sol, pour me servir d’une expression française qui fera mieux comprendre les localités, séparait les deux jeunes gens. Le capitaine ne pouvait