Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/236

Cette page n’a pas encore été corrigée

Égypte. Ce nom, infligé d’abord comme une flétrissure à la famille bizarre dont il est ici question, avait fini par devenir le sien et ennoblir le vice en elle par l’incontestable antiquité du vice. Or, un jour, la Marana du dix-neuvième siècle, un jour d’opulence ou de misère, on ne sait, ce problème fut un secret entre elle et Dieu, mais certes, ce fut dans une heure de religion et de mélancolie, cette femme se trouva les pieds dans un bourbier et la tête dans les cieux. Elle maudit alors le sang de ses veines, elle se maudit elle-même, elle trembla d’avoir une fille, et jura, comme jurent ces sortes de femmes, avec la probité, avec la volonté du bagne, la plus forte volonté, la plus exacte probité qu’il y ait sous le ciel ; elle jura donc devant un autel, en croyant à l’autel, de faire de sa fille une créature vertueuse, une sainte, afin de donner, à cette longue suite de crimes amoureux et de femmes perdues, un ange, pour elles toutes, dans le ciel. Le vœu fait, le sang des Marana parla, la courtisane se rejeta dans sa vie aventureuse, une pensée de plus au cœur. Enfin, elle vint à aimer du violent amour des prostituées, comme Henriette Wilson aima lord Ponsomby, comme mademoiselle Dupuis aima Bolingbroke, comme la marquise de Pescaire aima son mari ; mais non, elle n’aima pas, elle adora l’un de ces hommes à blonds cheveux, un homme à moitié femme, à laquelle elle prêta les vertus qu’elle n’avait pas, voulant garder pour elle tout ce qui était vice. Puis, de cet homme faible, de ce mariage insensé, de ce mariage qui n’est jamais béni par Dieu ni par les hommes, que le bonheur devrait justifier, mais qui n’est jamais absous par le bonheur et duquel rougissent un jour même les gens sans front, elle eut une fille, une fille à sauver, une fille pour laquelle elle désira une belle vie, et surtout les pudeurs qui lui manquaient. Alors, qu’elle vécût heureuse ou misérable, opulente ou pauvre, elle eut au cœur un sentiment pur, le plus beau de tous les sentiments humains, parce qu’il est le plus désintéressé. L’amour a encore son égoïsme à lui, l’amour maternel n’en a plus. La Marana fut mère comme aucune mère n’était mère ; car, dans son naufrage éternel, la maternité pouvait être une planche de salut. Accomplir saintement une partie de sa tâche terrestre en envoyant un ange de plus dans le paradis, n’était-ce pas mieux qu’un tardif repentir ? n’était-ce pas la seule prière pure qu’il lui fût permis d’élever jusqu’à Dieu ? Aussi, quand cette fille, quand sa Maria-Juana-Pepita (elle aurait voulu lui