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entendit dans la bibliothèque la pauvre Gabrielle qui, voulant faire savoir à son ami qu’elle s’y était renfermée, chantait ces paroles :

Une hermine

Est moins fine,

Le lis a moins de fraîcheur.

L’enfant maudit, que l’horrible phrase de son père avait plongé dans les abîmes de la mort, revint à la surface de la vie sur les ailes de cette poésie. Quoique déjà ce mouvement de terreur, effacé si rapidement, lui eût brisé le cœur, il rassembla ses forces, releva la tête, regarda son père en face pour la première fois de sa vie, échangea mépris pour mépris, et dit avec l’accent de la haine : — Un gentilhomme ne doit pas mentir ! D’un bond il sauta vers la porte opposée à celle du salon et cria : — Gabrielle !

Tout à coup, la suave créature apparut dans l’ombre comme un lis dans les feuillages, et trembla devant ce groupe de femmes moqueuses, instruites des amours d’Etienne. Semblable à ces nuages qui portent la foudre, le vieux duc, arrivé à un degré de rage qui ne se décrit point, se détachait sur le front brillant que produisaient les riches habillements de ces trois dames de cour. Entre la prolongation de sa race et une mésalliance, tout autre homme aurait hésité ; mais il se rencontra dans ce vieil homme indompté la férocité qui jusqu’alors avait décidé toutes les difficultés humaines ; il tirait à tout propos l’épée, comme le seul remède qu’il connût aux nœuds gordiens de la vie. Dans cette circonstance où le bouleversement de ses idées était au comble, le naturel devait triompher. Deux fois pris en flagrant délit de mensonge par un être abhorré, par son enfant maudit mille fois, et plus que jamais maudit au moment où sa faiblesse méprisée, et pour lui la plus méprisable, triomphait d’une omnipotence infaillible jusqu’alors, il n’y eut plus en lui ni père, ni homme : le tigre sortit de l’antre où il se cachait. Le vieillard, que la vengeance rendit jeune, jeta sur le plus ravissant couple d’anges qui eût consenti à mettre les pieds sur la terre, un regard pesant de haine et qui assassinait déjà.

— Eh ! bien, crevez tous ! Toi, sale avorton, la preuve de ma honte. Toi, dit-il à Gabrielle, misérable gourgandine à langue de vipère qui as empoisonné ma maison !