Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/219

Cette page n’a pas encore été corrigée

rante ; mais une jeune fille simple et qui aime ne se croit jamais en péril.

— Chère enfant, lui dit le baron, en s’efforçant de donner un ton mielleux à sa voix, vous et votre père vous êtes au bord d’un abîme où vous allez tomber demain ; je ne saurais voir ceci sans vous avertir. Monseigneur est furieux contre votre père et contre vous, il vous soupçonne d’avoir séduit son fils, et il aime mieux le voir mort que le voir votre mari : voilà pour son fils. Quant à votre père, voici la résolution qu’a prise Monseigneur. Il y a neuf ans, votre père fut impliqué dans une affaire criminelle ; il s’agissait du détournement d’un enfant noble au moment de l’accouchement de la mère, et auquel il s’est employé. Monseigneur, sachant l’innocence de votre père, le garantit alors des poursuites du parlement ; mais il va le faire saisir et le livrer à la justice en demandant qu’on procède contre lui. Votre père sera rompu vif ; mais en faveur des services qu’il a rendus à son maître, peut-être obtiendra-t-il de n’être que pendu. J’ignore ce que Monseigneur a décidé de vous ; mais je sais que vous pouvez sauver monseigneur de Nivron de la colère de son père, sauver Beauvouloir du supplice horrible qui l’attend, et vous sauver vous-même.

— Que faut-il faire ? dit Gabrielle.

— Allez vous jeter aux pieds de Monseigneur, lui avouer que son fils vous aime malgré vous, et lui dire que vous ne l’aimez pas. En preuve de ceci, vous lui offrirez d’épouser l’homme qu’il lui plaira de vous désigner pour mari. Il est généreux, il vous établira richement.

— Je puis tout faire, excepté de renier mon amour.

— Mais s’il le faut pour sauver votre père, vous et monseigneur de Nivron ?

— Etienne, dit-elle, en mourra, et moi aussi !

— Monseigneur de Nivron sera triste de vous perdre, mais il vivra pour l’honneur de sa maison ; vous vous résignerez à n’être que la femme d’un baron, au lieu d’être duchesse, et votre père vivra, répondit l’homme positif.

En ce moment, Etienne arrivait à la maison, il n’y vit pas Gabrielle, et jeta un cri perçant.

— Le voici, s’écria la jeune fille, laissez-moi l’aller rassurer.

— Je viendrai savoir votre réponse demain matin, dit le baron.

— Je consulterai mon père, répondit-elle. —