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Tous deux passèrent par la bibliothèque du cardinal, et descendirent par la tour où se trouvait la porte dont la clef avait été donnée à Gabrielle par Etienne. Abasourdi par l’appréhension du malheur, le pauvre enfant laissa dans la tour le flambeau qui lui servait à éclairer sa bien-aimée, et la reconduisit vers sa maison. A quelques pas du petit jardin qui faisait une cour de fleurs à cette humble habitation, les deux amants s’arrêtèrent. Enhardis par la crainte vague qui les agitait, ils se donnèrent, dans l’ombre et le silence, ce premier baiser où les sens et l’âme se réunissent pour causer un plaisir révélateur. Etienne comprit l’amour dans sa double expression, et Gabrielle se sauva de peur d’être entraînée par la volupté, mais à quoi ?… Elle n’en savait rien.

Au moment où le duc de Nivron montait les degrés de l’escalier, après avoir fermé la porte de la tour, un cri de terreur poussé par Gabrielle retentit à son oreille avec la vivacité d’un éclair qui brûle les yeux. Etienne traversa les appartements du château, descendit par le grand escalier, gagna la grève, et courut vers la maison de Gabrielle où il vit de la lumière. En arrivant dans le petit jardin, et à la lueur du flambeau qui éclairait le rouet de sa nourrice, Gabrielle avait aperçu sur la chaise un homme à la place de cette bonne femme. Au bruit des pas, cet homme s’était avancé vers elle et l’avait effrayée. L’aspect du baron d’Artagnon justifiait bien la peur qu’il inspirait à Gabrielle.

— Vous êtes la fille à Beauvouloir, le médecin de Monseigneur, lui dit le lieutenant de la compagnie d’ordonnance quand Gabrielle fut remise de sa frayeur.

— Oui, seigneur.

— J’ai des choses de la plus haute importance à vous confier. Je suis le baron d’Artagnon, le lieutenant de la compagnie d’ordonnance que monseigneur le duc d’Hérouville commande.

Dans les circonstances où se trouvaient les deux amants, Gabrielle fut frappée de ces paroles et du ton de franchise avec lequel le soldat les prononça.

— Votre nourrice est là, elle peut nous entendre, venez dit le baron.

Il sortit, Gabrielle le suivit. Tous deux allèrent sur la grève qui était derrière la maison.

— Ne craignez rien, lui dit le baron.

Ce mot aurait épouvanté une personne qui n’eût pas été igno-