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arrivait le cœur plein en redoutant jusqu’à une obscurité dans sa lumière, et il rencontrait un doute. Sa joie s’éteignit, il se replongea dans son désert et n’y trouva plus les fleurs dont il l’avait embelli. Eclairée par la prescience des douleurs qui distingue l’ange chargé de les adoucir et qui sans doute est la Charité du ciel, Gabrielle devina la peine qu’elle venait de causer. Elle fut si vivement frappée de sa faute qu’elle souhaita la puissance de Dieu pour pouvoir dévoiler son cœur à Etienne, car elle avait ressenti la cruelle émotion que causaient un reproche, un regard sévère ; elle lui montra naïvement les nuées qui s’étaient élevées en son âme et qui faisaient comme des langes d’or à l’aube de son amour. Une larme de Gabrielle changea la douleur d’Etienne en plaisir, et il voulut alors s’accuser de tyrannie. Ce fut un bonheur qu’à leur début ils connussent ainsi le diapason de leurs coeurs, ils évitèrent mille chocs qui les auraient meurtris. Tout à coup Etienne, impatient de se retrancher derrière une occupation, conduisit Gabrielle à une table, devant la petite croisée où il avait souffert et où désormais il allait admirer une fleur plus belle que toutes celles qu’il avait étudiées. Puis il ouvrit un livre sur lequel se penchèrent leurs têtes dont les cheveux se mêlèrent.

Ces deux êtres si forts par le coeur, si maladifs de corps, mais embellis par les grâces de la souffrance, formaient un touchant tableau. Gabrielle ignorait la coquetterie : un regard était accordé aussitôt que sollicité, et les doux rayons de leurs yeux ne cessaient de se confondre que par pudeur ; elle eut de la joie à dire à Etienne combien sa voix lui faisait plaisir à entendre ; elle oubliait la signification des paroles quand il lui expliquait la position des notes ou leur valeur ; elle l’écoutait, laissant la mélodie pour l’instrument, l’idée pour la forme ; ingénieuse flatterie, la première que rencontre l’amour vrai. Gabrielle trouvait Etienne beau, elle voulut manier le velours du manteau, toucher la dentelle du collet. Quant à Etienne, il se transformait sous le regard créateur de ces yeux fins ; ils lui infusaient une sève fécondante qui étincelait dans ses yeux, reluisait à son front, qui le retrempait intérieurement, et il ne souffrait point de ce jeu nouveau de ses facultés ; au contraire, elles se fortifiaient. Le bonheur était comme le lait nourricier de sa nouvelle vie.

Comme rien ne pouvait les distraire d’eux-mêmes, ils restèrent ensemble non-seulement cette journée, mais toutes les autres, car