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comme un rayon de soleil, intelligente comme l’ange, faible comme la femme. Ses vingt années d’études eurent un lien, il comprit la mystique alliance de toutes les beautés ; il reconnut combien il y avait de la femme dans les poésies qu’il adorait ; il aimait enfin depuis si longtemps sans le savoir, que tout son passé se confondit dans les émotions de cette belle nuit. La ressemblance de Gabrielle avec sa mère lui parut un ordre divinement donné. Il ne trahissait pas sa douleur en aimant, l’amour lui continuait la maternité. Il contemplait, à la nuit, l’enfant couchée dans cette chaumière, avec les mêmes sentiments qu’éprouvait sa mère quand il y était. Cette autre similitude lui rattachait encore le présent au passé. Sur les nuages de ses souvenirs, la figure endolorie de Jeanne de Saint-Savin lui apparut ; il la revit avec son sourire faible, il entendit sa parole douce, elle inclina la tête, et pleura. La lumière de la maison s’éteignit. Etienne chanta la jolie chansonnette d’Henri IV avec une expression nouvelle. De loin, les essais de Gabrielle lui répondirent. La jeune fille faisait aussi son premier voyage dans les pays enchantés de l’extase amoureuse. Cette réponse remplit de joie le cœur d’Etienne ; en coulant dans ses veines, le sang y répandit une force qu’il ne s’était jamais sentie, l’amour le rendait puissant. Les êtres faibles peuvent seuls connaître la volupté de cette création nouvelle au milieu de la vie. Les pauvres, les souffrants, les maltraités ont des joies ineffables, peu de chose est l’univers pour eux. Etienne tenait par mille liens au peuple de la Cité dolente. Sa grandeur récente ne lui causait que de la terreur, l’amour lui versait le baume créateur de la force : il aimait l’amour.

Le lendemain, Etienne se leva de bonne heure pour courir à son ancienne maison, où Gabrielle animée de curiosité, pressée par une impatience qu’elle ne s’avouait pas, avait de bon matin bouclé ses cheveux et revêtu son charmant costume. Tous deux étaient pleins du désir de se revoir, et craignaient mutuellement les effets de cette entrevue. Quant à lui, pensez qu’il avait choisi ses plus fines dentelles, son manteau le mieux orné, son haut-de-chausses de velours violet ; il avait pris enfin ce bel habillement que recommande à toutes les mémoires la pâle figure de Louis XIII, figure opprimée au sein de la grandeur comme Etienne l’avait été jusqu’alors. Cet habillement n’était pas le seul point de ressemblance qui existât entre le maître et le sujet. Mille sensibilités se rencontraient chez Etienne comme chez Louis XIII : la chasteté, la mélancolie,