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où, la dernière fois, il n’était venu qu’à la dérobée, amené par Beauvouloir pour donner un dernier baiser à sa mère mourante, il l’y faisait revivre, il lui parlait, il l’écoutait ; il s’abreuvait à cette source qui ne tarit jamais, et d’où découlent tant de chants semblables au Super flumina Babylonis. Le lendemain de son retour, Beauvouloir vint voir son maître, et le gronda doucement d’être resté dans sa chambre sans sortir, en lui faisant observer qu’il ne fallait pas substituer à sa vie en plein air, la vie d’un prisonnier.

— Ceci est bien vaste, répondit Étienne, il y a l’âme de ma mère.

Le médecin obtint cependant, par la douce influence de l’affection, qu’Étienne se promènerait tous les jours, soit au bord de la mer, soit au dehors dans les campagnes qui lui étaient inconnues. Néanmoins Étienne, toujours en proie à ses souvenirs, resta le lendemain jusqu’au soir à sa fenêtre, occupé à regarder la mer ; elle lui offrit des aspects si multipliés, qu’il croyait ne l’avoir jamais vue si belle. Il entremêla ses contemplations de la lecture de Pétrarque, un de ses auteurs favoris, celui dont la poésie allait le plus à son cœur par la constance et l’unité de son amour. Étienne n’avait pas en lui l’étoffe de plusieurs passions, il ne pouvait aimer que d’une seule façon, une seule fois. Si cet amour devait être profond, comme tout ce qui est un, il devait être calme dans ses expressions, suave et pur comme les sonnets du poëte italien. Au coucher du soleil, l’enfant de la solitude se mit à chanter de cette voix merveilleuse qui s’était produite, comme une espérance, dans les oreilles les plus sourdes à la musique, celles de son père. Il exprima sa mélancolie en variant un même air qu’il dit plusieurs fois à la manière du rossignol. Cet air, attribué au feu roi Henri IV, n’était pas l’air de Gabrielle, mais un air de beaucoup supérieur comme facture, comme mélodie, comme expression de tendresse, et que les admirateurs du vieux temps reconnaîtront aux paroles également composées par le grand roi ; l’air fut sans doute pris aux refrains qui avaient bercé son enfance dans les montagnes du Béarn.


Viens, aurore,
Je t’implore,
Je suis gai quand je te voi ;
La bergère
Qui m’est chère
Est vermeille comme toi ;