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plus nourrie, elle avait enfin cet air auguste qui distingue les contours de la femme italienne. La Tinti, de qui le nom a tant de ressemblance avec celui que se forgea la cantatrice française, avait dix-sept ans, et le pauvre prince en avait vingt-trois. Quelle main rieuse s’était plu à jeter ainsi le feu si prés de la poudre ? Une chambre embaumée, vêtue de soie incarnadine, brillant de bougies, un lit de dentelles, un palais silencieux, Venise ! deux jeunesses, deux beautés ! tous les fastes réunis. Emilio prit son pantalon, sauta hors du lit, se sauva dans le cabinet de toilette, se rhabilla, revint, et se dirigea précipitamment vers la porte.

Voici ce qu’il s’était dit en reprenant ses vêtements : « -- Massimilla, chère fille des Doni chez lesquels la beauté de l’Italie s’est héréditairement conservée, toi qui ne démens pas le portrait de Margherita, l’une des rares toiles entièrement peintes par Raphaël pour sa gloire ! ma belle et sainte maîtresse, ne sera-ce pas te mériter que de me sauver de ce gouffre de fleurs ? serais-je digne de toi si je profanais un cœur tout à toi ? Non, je ne tomberai pas dans le piége vulgaire que me tendent mes sens révoltés. A cette fille son duc, à moi ma duchesse ! » Au moment où il soulevait la portière, il entendit un gémissement. Cet héroïque amant se retourna, vit la Tinti qui, prosternée la face sur le lit, y étouffait ses sanglots. Le croirez-vous ? la cantatrice était plus belle à genoux, la figure cachée, que confuse et le visage étincelant. Ses cheveux dénoués sur ses épaules, sa pose de Magdeleine, le désordre de ses vêtements déchirés, tout avait été composé par le diable, qui, vous le savez, est un grand coloriste. Le prince prit par la taille cette pauvre Tinti, qui lui échappa comme une couleuvre, et qui se roula autour d’un de ses pieds que pressa mollement une chair adorable.

— M’expliqueras-tu, dit-il en secouant son pied pour le retirer de cette fille, comment tu te trouves dans mon palais ? Comment le pauvre Emilio Memmi…

— Emilio Memmi ! s’écria la Tinti en se relevant, tu te disais prince.

— Prince depuis hier.

— Tu aimes la Cataneo ! dit la Tinti en le toisant.

Le pauvre Emilio resta muet, en voyant la prima-donna qui souriait au milieu de ses larmes.

— Votre Altesse ignore que celui qui m’a élevée pour le théâtre,