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faites, nous ; quels sont les êtres qui nous regardent ? Vous êtes mon père, je puis vous dire ce qui se passe en moi ; vous êtes habile, vous expliquerez tout. Je sens en moi comme une force qui veut s’exercer, je lutte contre quelque chose. Quand le ciel est gris, je suis à demi contente, je suis triste, mais calme. Quand il fait beau, que les fleurs sentent bon, que je suis là-bas sur mon banc, sous les chèvrefeuilles et les jasmins, il s’élève en moi comme des vagues qui se brisent contre mon immobilité. Il me vient dans l’esprit des idées qui me heurtent et s’enfuient comme les oiseaux le soir à nos croisées, je ne peux pas les retenir. Eh ! bien, quand j’ai fait un bouquet où les couleurs sont nuancées comme sur une tapisserie, où le rouge mord le blanc, où le vert et le brun se croisent, quand tout y abonde, que l’air s’y joue, que les fleurs se heurtent, qu’il y a une mêlée de parfums et de calices entre-choqués, je suis comme heureuse en reconnaissant ce qui se passe en moi-même. Quand, à l’église, l’orgue joue et que le clergé répond, qu’il y a deux chants distincts qui se parlent, les voix humaines et la musique, eh ! bien, je suis contente, cette harmonie me retentit dans la poitrine, je prie avec un plaisir qui m’anime le sang…

En écoutant sa fille, Beauvouloir l’examinait avec l’œil de la sagacité : son regard eût semblé stupide par la force même de ses pensées rayonnantes, de même que l’eau d’une cascade semble immobile. Il soulevait le voile de chair qui lui cachait le jeu secret par lequel l’âme réagit sur le corps, il étudiait les symptômes divers que sa longue expérience avait surpris dans toutes les personnes confiées à ses soins, et il les comparait aux symptômes contenus dans ce corps frêle dont les os l’effrayaient par leur délicatesse, dont le teint de lait l’épouvantait par son peu de consistance ; et il tâchait de relier les enseignements de sa science à l’avenir de cette angélique enfant, et il avait le vertige en se trouvant ainsi, comme s’il eût été sur un abîme ; la voix trop vibrante, la poitrine trop mignonne de Gabrielle l’inquiétait, et il s’interrogeait lui-même, après l’avoir interrogée.

— Tu souffres ici ! s’écria-t-il enfin poussé par une dernière pensée où se résuma sa méditation. Elle inclina mollement la tête.

— A la grâce de Dieu ! dit le vieillard en jetant un soupir. Je t’emmène au château d’Hérouville, tu y pourras prendre, dans la mer, des bains qui te fortifieront. —