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mince sans être plat ; sur son cou et sur son front couraient des filets bleuâtres qui y dessinaient des nuances semblables à celles de l’agate, en montrant la délicatesse d’un teint si transparent, qu’on eût cru voir le sang couler dans les veines. Cette blancheur excessive était faiblement teintée de rose aux joues. Cachés sous un petit bonnet de velours bleu brodé de perles, ses cheveux, d’un blond égal, coulaient comme deux ruisseaux d’or le long de ses tempes, et se jouaient en anneaux sur ses épaules, qu’ils ne couvraient pas. La couleur chaude de cette chevelure soyeuse animait la blancheur éclatante du cou, et purifiait encore par son reflet les contours du visage déjà si pur. Les yeux, longs et comme pressés entre des paupières grasses, étaient en harmonie avec la finesse du corps et de la tête ; le gris de perle y avait du brillant sans vivacité, la candeur y recouvrait la passion. La ligne du nez eût paru froide comme une lame d’acier, sans deux narines veloutées et roses dont les mouvements semblaient en désaccord avec la chasteté d’un front rêveur, souvent étonné, riant parfois, et toujours d’une auguste sérénité. Enfin, une petite oreille alerte attirait le regard, en montrant sous le bonnet, entre deux touffes de cheveux, la poire d’un rubis dont la couleur se détachait vigoureusement sur le lait du cou. Ce n’était ni la beauté normande où la chair abonde, ni la beauté méridionale où la passion agrandit la matière, ni la beauté française, toute fugitive comme ses expressions, ni la beauté du Nord mélancolique et froide, c’était la séraphique et profonde beauté de l’Église catholique, à la fois souple et rigide, sévère et tendre.

— Où trouvera-t-on une plus jolie duchesse ? se dit Beauvouloir en se complaisant à voir Gabrielle, qui, légèrement penchée, tendant le cou pour suivre au dehors le vol d’un oiseau, ne pouvait se comparer qu’à une gazelle arrêtée pour écouter le murmure de l’eau où elle va se désaltérer.

— Viens t’asseoir là, dit Beauvouloir en se frappant la cuisse et faisant à Gabrielle un signe qui annonçait une confidence.

Gabrielle comprit et vint. Elle se posa sur son père avec la légèreté de la gazelle, et passa son bras autour du cou de Beauvouloir dont le collet fut brusquement chiffonné.

— À qui pensais-tu donc en cueillant ces fleurs ? jamais tu ne les as si galamment disposées.

— À bien des choses, dit-elle. En admirant ces fleurs, qui semblent faites pour nous, je me demandais pour qui nous sommes