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plus considérables qui vivaient sous son commandement et dans sa province, il se faisait un bruit sourd produit par une curieuse attente. Ce bruit serra le cœur d’Etienne qui, pour la première fois, éprouvait l’influence de la lourde atmosphère d’une salle où respirait une assemblée nombreuse ; ses sens, habitués à l’air pur et sain de la mer, furent offensés avec une promptitude qui indiquait la perfection de ses organes. Une horrible palpitation, due à quelque vice dans l’organisation de son coeur, l’agita de ses coups précipités, quand son père, obligé de se montrer comme un vieux lion majestueux, prononça, d’une voix solennelle, le petit discours suivant : — Mes amis, voici mon fils Etienne, mon premier-né, mon héritier présomptif, le duc de Nivron, à qui le roi confirmera sans doute les charges de défunt son frère ; je vous le présente afin que vous le reconnaissiez et que vous lui obéissiez comme à moi-même. Je vous préviens que si l’un de vous, ou si quelqu’un dans la province dont j’ai le gouvernement, déplaisait au jeune duc ou le heurtait en quoi que ce soit, il vaudrait mieux, cela étant et moi le sachant, que ce quelqu’un ne fût jamais sorti du ventre de sa mère. Vous avez entendu ? retournez tous à vos affaires, et que Dieu vous conduise. Les obsèques de Maximilien d’Hérouville se feront ici, lorsque son corps y sera rapporté. La maison prendra le deuil dans huit jours. Plus tard, nous fêterons l’avénement de mon fils Etienne.

— Vive monseigneur ! vivent les d’Hérouville ! fut crié de manière à faire mugir le château.

Les valets apportèrent des flambeaux pour éclairer la salle. Ce hourra, cette lumière et les sensations que donna à Etienne le discours de son père, jointes à celles qu’il avait éprouvées déjà, lui causèrent une défaillance complète, il tomba sur le fauteuil en laissant sa main de femme dans la large main de son père. Quand le duc, qui avait fait signe au lieutenant de sa compagnie d’approcher, lui dit : — Eh ! bien, baron d’Artagnon, je suis heureux de pouvoir réparer ma perte, venez voir mon fils ! il sentit dans sa main une main froide, regarda le nouveau duc de Nivron, le crut mort, et jeta un cri de terreur qui épouvanta l’assemblée.

Beauvouloir ouvrit l’estrade, prit le jeune homme dans ses bras, et l’emmena en disant à son maître : — Vous l’avez tué en ne le préparant pas à cette cérémonie. — Il