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duc les avait convoqués tous pour leur présenter son fils, en ne doutant pas du succès.

— Viens, lui répondit son père en le prenant par la main et l’amenant dans la grande salle.

A cette époque un duc et pair, possessionné comme l’était le duc d’Hérouville, ayant ses charges et ses gouvernements, menait en France le train d’un prince ; les cadets de famille ne répugnaient pas à le servir ; il avait une maison et des officiers : le premier lieutenant de sa compagnie d’ordonnance était chez lui ce que sont aujourd’hui les aides de camp chez un maréchal. Quelques années plus tard, le cardinal de Richelieu eut des gardes du corps. Plusieurs princes alliés à la maison royale, les Guise, les Condé, les Nevers, les Vendôme avaient des pages pris parmi les enfants des meilleures maisons, dernière coutume de la chevalerie éteinte. Sa fortune et l’ancienneté de sa race normande indiquée par son nom (herus villa, maison du chef), avaient permis au duc d’Hérouville d’imiter la magnificence des gens qui lui étaient inférieurs, tels que les d’Epernon, les Luynes, les Balagny, les d’O, les Zamet, regardés en ce temps comme des parvenus, et qui néanmoins vivaient en princes. Ce fut donc un spectacle imposant pour le pauvre Etienne que de voir l’assemblée des gens attachés au service de son père. Le duc monta sur une chaise placée sous un de ces solium ou dais en bois sculpté garni d’une estrade élevée de quelques marches, d’où, dans quelques provinces, certains seigneurs rendaient encore des arrêts dans leurs châtellenies, rares vestiges de féodalité qui disparurent sous le règne de Richelieu. Ces espèces de trônes, semblables aux bancs d’oeuvre dans les églises, sont devenus des objets de curiosité. Quand Etienne se trouva là, près de son vieux père, il frissonna de se voir le point de mire de tous les yeux.

— Ne tremble pas, lui dit le duc en abaissant sa tête chauve jusqu’à l’oreille de son fils, car tout ça, c’est nos gens.

A travers les ténèbres à demi lumineuses produites par le soleil couchant dont les rayons rougissaient les croisées de cette salle, Etienne apercevait le bailli, les capitaines et les lieutenants en armes, accompagnés de quelques soldats, les écuyers, le chapelain, les secrétaires, le médecin, le majordome, les huissiers, l’intendant, les piqueurs, les gardes-chasse, toute la livrée et les valets. Quoique ce monde se tînt dans une attitude respectueuse commandée par la terreur qu’inspirait le vieillard aux gens les