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en les exprimant. La voix s’unissait au bruissement de l’onde avec une si rare perfection qu’elle semblait sortir du sein des flots. Ce chant fut plus doux pour ces vieillards que ne l’aurait été la plus tendre parole d’amour pour une jeune fille, il apportait tant de religieuses espérances qu’il résonna dans le cœur comme une voix partie du ciel.

— Qu’est ceci ? demanda le duc.

— Le petit rossignol chante, dit Bertrand, tout n’est pas perdu, ni pour lui, ni pour vous.

— Qu’appelez-vous un rossignol ?

— C’est le nom que nous avons donné au fils aîné de monseigneur, répondit Bertrand.

— Mon fils, s’écria le vieillard. J’ai donc un fils, enfin quelque chose qui porte mon nom et qui peut le perpétuer.

Il se dressa sur ses pieds, et se mit à marcher dans sa chambre d’un pas tour à tour lent et précipité ; puis il fit un geste de commandement et renvoya ses gens, à l’exception du prêtre.

Le lendemain matin, le duc appuyé sur son vieil écuyer allait le long de la grève, à travers les rochers cherchant le fils que jadis il avait maudit ; il l’aperçut de loin, tapi dans une crevasse de granit, nonchalamment étendu au soleil, la tête posée sur une touffe d’herbes fines, les pieds gracieusement ramassés sous le corps. Etienne ressemblait à une hirondelle en repos. Aussitôt que le grand vieillard se montra sur le bord de la mer, et que le bruit de ses pas assourdi par le sable résonna faiblement en se mêlant à la voix des flots, Etienne tourna la tête, jeta un cri d’oiseau surpris, et disparut dans le granit même, comme une souris qui rentre si lestement dans son trou que l’on finit par douter de l’avoir aperçue.

— Hé ! tête-dieu pleine de reliques, où s’est-il donc fourré ? s’écria le seigneur en arrivant au rocher sur lequel son fils était accroupi.

— Il est là, dit Bertrand en montrant une fente étroite dont les bords avaient été polis, usés par l’assaut répété des hautes marées.

— Etienne, mon fils bien-aimé ! s’écria le vieillard.

L’enfant maudit ne répondit pas. Pendant une partie de la matinée, le vieux duc supplia, menaça, gronda, implora tour à tour, sans pouvoir obtenir de réponse. Parfois il se taisait, appliquait l’oreille à la crevasse, et tout ce que son ouïe faible lui permet-