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tit des pensées dans les airs, il en lut d’écrites au ciel. Enfin, il gravit de bonne heure la cime éthérée où se trouvait la nourriture délicate propre à son âme, nourriture enivrante, mais qui le prédestinait au malheur le jour où ces trésors accumulés se joindraient aux richesses qu’une passion met soudain au coeur. Si parfois Jeanne de Saint-Savin redoutait cet orage, elle se consolait bientôt par une pensée que lui inspirait la triste destinée de son fils ; car cette pauvre mère ne trouvait d’autre remède à un malheur qu’un malheur moindre ; aussi chacune de ses jouissances était-elle pleine d’amertume !

— Il sera cardinal, se disait-elle, il vivra par le sentiment des arts dont il se fera le protecteur. Il aimera l’art au lieu d’aimer une femme, et l’art ne le trahira jamais.

Les plaisirs de cette amoureuse maternité furent donc sans cesse altérés par de sombres pensées qui naissaient de la singulière situation où se trouvait Etienne au sein de sa famille. Les deux frères avaient déjà dépassé l’un et l’autre l’âge de l’adolescence sans se connaître, saur s’être vus, sans soupçonner leur existence rivale. La duchesse avait longtemps espéré pouvoir, pendant une absence de son mari, lier les deux frères par quelque scène solennelle où elle comptait les envelopper de son âme. Elle se flattait d’intéresser Maximilien à Etienne, en disant au cadet combien il devait de protection et d’amour à son aîné souffrant en retour des renoncements auxquels il avait été soumis, et auxquels il serait fidèle, quoique contraint. Cet espoir longtemps caressé s’était évanoui. Loin de vouloir amener une reconnaissance entre les deux frères, elle redoutait plus une rencontre entre Etienne et Maximilien qu’entre Etienne et son père. Maximilien, qui ne croyait qu’au mal, eût craint qu’un jour Etienne ne redemandât ses droits méconnus, et l’aurait jeté dans la mer en lui mettant une pierre au cou. Jamais fils n’eut moins de respect que lui pour sa mère. Aussitôt qu’il avait pu raisonner, il s’était aperçu du peu d’estime que le duc avait pour sa femme. Si le vieux gouverneur conservait quelques formes dans ses manières avec la duchesse, Maximilien, peu contenu par son père, causait mille chagrins à sa mère. Aussi Bertrand veillait-il incessamment à ce que jamais Maximilien ne vît Etienne, de qui la naissance d’ailleurs était soigneusement cachée. Tous les gens du château haïssaient cordialement le marquis de Saint-Sever, nom que portait Maximilien, et ceux qui savaient l’existence de l’aîné