Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/168

Cette page n’a pas encore été corrigée

que la pauvre femme retrouva ses souvenirs de jeune fille dans le long regard de son enfant, elle le couvrit de baisers insensés. Elle rougit quand Etienne lui demanda pourquoi elle paraissait l’aimer mieux en ce moment ; puis elle lui répondit qu’à chaque heure elle l’aimait davantage. Bientôt elle retrouva, dans les soins que voulaient l’éducation de l’âme et la culture de l’esprit, les mêmes plaisirs qu’elle avait goûtés en nourrissant, en élevant le corps de son enfant. Quoique les mères ne grandissent pas toujours avec leurs fils, la duchesse était une de celles qui portent dans la maternité les humbles adorations de l’amour ; elle pouvait caresser et juger ; elle mettait son amour-propre à rendre Etienne supérieur à elle en toute chose et non à le régenter ; peut-être se savait-elle si grande par son inépuisable affection, qu’elle ne redoutait aucun amoindrissement. C’est les cœurs sans tendresse qui aiment la domination, mais les sentiments vrais chérissent l’abnégation, cette vertu de la Force. Lorsqu’Etienne ne comprenait pas tout d’abord quelque démonstration, un texte ou un théorème, la pauvre mère, qui assistait aux leçons, semblait vouloir lui infuser la connaissance des choses, comme naguère, au moindre cri, elle lui versait des flots de lait. Mais aussi de quel éclat la joie n’empourprait-elle pas le regard de la duchesse, alors qu’Etienne saisissait le sens des choses et se l’appropriait ? Elle montrait, comme disait Pierre de Sebonde, que la mère est un être double dont les sensations embrassent toujours deux existences.

La duchesse augmentait ainsi le sentiment naturel qui lie un fils à sa mère, par les tendresses d’un amour ressuscité. La délicatesse d’Etienne lui fit continuer pendant plusieurs années les soins donnés à l’enfance, elle venait l’habiller, elle le couchait ; elle seule peignait, lissait, bouclait et parfumait la chevelure de son fils. Cette toilette était une caresse continuelle ; elle donnait à cette tête chérie autant de baisers qu’elle y passait de fois le peigne d’une main légère. De même que les femmes aiment à se faire presque mères pour leurs amants en leur rendant quelques soins domestiques, de même la mère se faisait de son fils un simulacre d’amant ; elle lui trouvait une vague ressemblance avec le cousin aimé par delà le tombeau. Etienne était comme le fantôme de Georges, entrevu dans le lointain d’un miroir magique ; elle se disait qu’il était plus gentilhomme qu’ecclésiastique.

— Si quelque femme aussi aimante que moi voulait lui infuser