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mari lui inspirait, partagé si tôt par son enfant, le rendit encore plus précieux à la comtesse ; et leur union se fortifia si bien, que, comme deux fleurs attachées au même rameau, ils se courbaient sous le même vent, se relevaient par la même espérance. Ce fut une même vie.

Au départ du comte, Jeanne commençait une seconde grossesse. Elle accoucha cette fois au terme voulu par les préjugés, et mit au monde, non sans des douleurs inouïes, un gros garçon qui, quelques mois après, offrit une si parfaite ressemblance avec son père que la haine du comte pour l’aîné s’en accrut encore. Afin de sauver son enfant chéri, la comtesse consentit à tous les projets que son mari forma pour le bonheur et la fortune de son second fils. Etienne, promis au cardinalat, dut devenir prêtre pour laisser à Maximilien les biens et les titres de la maison d’Hérouville. A ce prix, la pauvre mère assura le repos de l’enfant maudit.

Jamais deux frères ne furent plus dissemblables qu’Etienne et Maximilien. Le cadet eut en naissant le goût du bruit, des exercices violents et de la guerre ; aussi le comte conçut-il pour lui autant d’amour que sa femme en avait pour Etienne. Par une sorte de pacte naturel et tacite, chacun des époux se chargea de son enfant de prédilection. Le duc, car vers ce temps Henri IV récompensa les éminents services du seigneur d’Hérouville, le duc ne voulut pas, dit-il, fatiguer sa femme, et donna pour nourrice à Maximilien une bonne grosse Bayeusaine choisie par Beauvouloir. A la grande joie de Jeanne de Saint-Savin, il se défia de l’esprit autant que du lait de la mère, et prit la résolution de façonner son enfant à son goût. Il éleva Maximilien dans une sainte horreur des livres et des lettres ; il lui inculqua les connaissances mécaniques de l’art militaire, il le fit de bonne heure monter à cheval, tirer l’arquebuse et jouer de la dague. Quand son fils devint grand, il le mena chasser pour qu’il contractât cette sauvagerie de langage, cette rudesse de manières, cette force de corps, cette virilité dans le regard et dans la voix qui rendaient à ses yeux un homme accompli. Le petit gentilhomme fut à douze ans un lionceau fort mal léché, redoutable à tous au moins autant que le père, ayant la permission de tout tyranniser dans les environs et tyrannisant tout.

Etienne habita la maison située au bord de l’Océan que lui avait donnée son père, et que la duchesse fit disposer de manière à ce qu’il y trouvât quelques-unes des jouissances auxquelles il avait