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naissance lui était reprochée à cause de Chaverny, la comtesse l’aima comme les femmes aiment l’enfant d’un illicite amour, obligée de le nourrir, elle n’en éprouva nulle fatigue. Elle ne voulut être aidée en aucune façon par ses femmes, elle vêtait et dévêtait son enfant en ressentant de nouveaux plaisirs à chaque petit soin qu’il exigeait. Ces travaux incessants, cette attention de toutes les heures, l’exactitude avec laquelle elle devait s’éveiller la nuit pour allaiter son enfant, furent des félicités sans bornes. Le bonheur rayonnait sur son visage quand elle obéissait aux besoins de ce petit être. Comme Etienne était venu prématurément, plusieurs vêtements manquaient, elle désira les faire elle-même, et les fit, avec quelle perfection, vous le savez, vous qui, dans l’ombre et le silence, mères soupçonnées, avez travaillé pour des enfants adorés ! A chaque aiguillée de fil, c’était une souvenance, un désir, des souhaits, mille choses qui se brodaient sur l’étoffe comme les jolis dessins qu’elle y fixait. Toutes ces folies furent redites au comte d’Hérouville et grossirent l’orage déjà formé. Les jours n’avaient plus assez d’heures pour les occupations multipliées et les minutieuses précautions de la nourrice ; ils s’enfuyaient chargés de contentements secrets.

Les avis du rebouteur étaient toujours écrits devant la comtesse ; aussi craignait-elle pour son enfant, et les services de ses femmes, et la main de ses gens ; elle aurait voulu pouvoir ne pas dormir afin d’être sûre que personne n’approcherait d’Etienne pendant son sommeil ; elle le couchait près d’elle. Enfin elle assit la Défiance à ce berceau. Pendant l’absence du comte, elle osa faire venir le chirurgien de qui elle avait bien retenu le nom. Pour elle, Beauvouloir était un être envers lequel elle avait une immense dette de reconnaissance à payer ; mais elle désirait surtout le questionner sur mille choses relatives à son fils. Si l’on devait empoisonner Etienne, comment pouvait-elle déjouer les tentatives, comment gouverner sa frêle santé ? fallait-il l’allaiter longtemps ? Si elle mourait, Beauvouloir se chargerait-il de veiller sur la santé du pauvre enfant ?

Aux questions de la comtesse, Beauvouloir attendri lui répondit qu’il redoutait autant qu’elle le poison pour Etienne ; mais sur ce point, la comtesse n’avait rien à craindre tant qu’elle le nourrirait de son lait ; puis pour l’avenir, il lui recommanda de toujours goûter à la nourriture d’Etienne. —