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dre pour madame. La fièvre de lait viendra sans doute, ne vous en épouvantez pas, ce ne sera rien.

Là, le rusé rebouteur s’arrêta, serra la main de la comtesse pour la rendre attentive.

— Si vous ne voulez pas avoir d’inquiétude sur votre enfant, madame, reprit-il, vous ne devez pas le quitter. Laissez-le longtemps boire le lait que ses petites lèvres cherchent déjà ; nourrissez-le vous-même, et gardez-vous bien des drogues de l’apothicaire. Le sein est le remède à toutes les maladies des enfants. J’ai beaucoup observé d’accouchements à sept mois, mais j’ai rarement vu de délivrance aussi peu douloureuse que la vôtre. Ce n’est pas étonnant, l’enfant est si maigre ! Il tiendrait dans un sabot ! Je suis sûr qu’il ne pèse pas quinze onces. Du lait ! du lait ! S’il reste toujours sur votre sein, vous le sauverez.

Ces dernières paroles furent accompagnées d’un nouveau mouvement de doigts. Malgré les deux jets de flamme que dardaient les yeux du comte par les trous de son masque, Beauvouloir débita ses périodes avec le sérieux imperturbable d’un homme qui voulait gagner son argent.

— Oh ! oh ! rebouteur, tu oublies ton vieux feutre noir, lui dit Bertrand au moment où l’opérateur sortait avec lui de la chambre.

Les motifs de la clémence du comte envers son fils étaient puisés dans un et coetera de notaire. Au moment où Beauvouloir lui arrêta les mains, l’Avarice et la Coutume de Normandie s’étaient dressées devant lui. Par un signe, ces deux puissances lui engourdirent les doigts et imposèrent silence à ses passions haineuses. L’une lui cria : — « Les biens de ta femme ne peuvent appartenir à la maison d’Hérouville que si un enfant mâle les y transporte ! » L’autre lui montra la comtesse mourant et les biens réclamés par la branche collatérale des Saint-Savin. Toutes deux lui conseillèrent de laisser à la nature le soin d’emporter l’avorton, et d’attendre la naissance d’un second fils qui fût sain et vigoureux, pour pouvoir se moquer de la vie de sa femme et de son premier-né. Il ne vit plus un enfant, il vit des domaines, et sa tendresse devint subitement aussi forte que son ambition. Dans son désir de satisfaire à la Coutume, il souhaita que ce fils mort-né eût les apparences d’une robuste constitution. La mère, qui connaissait bien le caractère du comte, fut encore plus surprise que ne l’était le rebouteur, et conserva des craintes instinctives qu’elle manifestait