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fausses couches. Or, dans ces temps de désordres, les fautes furent assez fréquentes et les passions assez mauvaises pour que la haute noblesse se vît obligée d’initier souvent maître Antoine Beauvouloir à des secrets honteux ou terribles. Nécessaire à sa sécurité, sa discrétion était à toute épreuve ; aussi sa clientèle le payait-elle généreusement, en sorte que sa fortune héréditaire s’augmentait beaucoup. Toujours en route, tantôt surpris comme il venait de l’être par le comte, tantôt obligé de passer plusieurs jours chez quelque grande dame, il ne s’était pas encore marié ; d’ailleurs sa renommée avait empêché plusieurs filles de l’épouser. Incapable de chercher des consolations dans les hasards de son métier qui lui conférait tant de pouvoir sur les faiblesses féminines, le pauvre rebouteur se sentait fait pour les joies de la famille, et ne pouvait se les donner. Ce bonhomme cachait un excellent cœur sous les apparences trompeuses d’un caractère gai, en harmonie avec sa figure joufflue, avec ses formes rondes, avec la vivacité de son petit corps gras et la franchise de son parler. Il désirait donc se marier pour avoir une fille qui transportât ses biens à quelque pauvre gentilhomme ; car il n’aimait pas son état de rebouteur, et voulait faire sortir sa famille de la situation où la mettaient les préjugés du temps. Son caractère s’était d’ailleurs assez bien accommodé de la joie et des repas qui couronnaient ses principales opérations. L’habitude d’être partout l’homme le plus important avait ajouté à sa gaieté constitutive une dose de vanité grave. Ses impertinences étaient presque toujours bien reçues dans les moments de crise, où il se plaisait à opérer avec une certaine lenteur magistrale. De plus, il était curieux comme un rossignol, gourmand comme un lévrier et bavard comme le sont les diplomates qui parlent sans jamais rien trahir de leurs secrets. A ces défauts près, développés en lui par les aventures multipliées où le jetait sa profession, Antoine Beauvouloir passait pour être le moins mauvais homme de la Normandie. Quoiqu’il appartînt au petit nombre d’esprits supérieurs à leur temps, un bon sens de campagnard normand lui avait conseillé de tenir cachées ses idées acquises et les vérités qu’il découvrait.

En se trouvant placé par le comte devant une femme en mal d’enfant, le rebouteur recouvra toute sa présence d’esprit. Il se mit à tâter le pouls de la dame masquée, sans penser aucunement à elle ; mais, à l’aide de ce maintien doctoral, il pouvait réfléchir et