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Ah ! pauvre Chaverny ! s’écria-t-elle en pleurant, toi si soumis, si gracieux, tu m’as toujours été bienfaisant !

Elle tourna les yeux sur son mari, comme pour se persuader encore que cette figure lui promettait une clémence si chèrement achetée. Le comte était éveillé. Ses deux yeux jaunes, aussi clairs que ceux d’un tigre, brillaient sous les touffes de ses sourcils, et jamais son regard n’avait été plus incisif qu’en ce moment. La comtesse, épouvantée d’avoir rencontré ce regard, se glissa sous la courte-pointe et resta sans mouvement.

— Pourquoi pleurez-vous ? demanda le comte en tirant vivement le drap sous lequel sa femme s’était cachée.

Cette voix, toujours effrayante pour elle, eut en ce moment une douceur factice qui lui sembla de bon augure.

— Je souffre beaucoup, répondit-elle.

— Eh ! bien, ma mignonne, est-ce un crime que de souffrir ? Pourquoi trembler quand je vous regarde ? Hélas ! que faut-il donc faire pour être aimé ? Toutes les rides de son front s’amassèrent entre ses deux sourcils. — Je vous cause toujours de l’effroi, je le vois bien, ajouta-t-il en soupirant.

Conseillée par l’instinct des caractères faibles, la comtesse interrompit le comte en jetant quelques gémissements, et s’écria : — Je crains de faire une fausse couche ! J’ai couru sur les rochers pendant toute la soirée, je me serai sans doute trop fatiguée.

En entendant ces paroles, le sire d’Hérouville jeta sur sa femme un regard si soupçonneux qu’elle rougit en frissonnant. Il prit la peur qu’il inspirait à cette naïve créature pour l’expression d’un remords.

— Peut-être est-ce un accouchement véritable qui commence ? demanda-t-il.

— Eh ! bien ? dit-elle.

— Eh ! bien, dans tous les cas, il faut ici un homme habile, et je vais l’aller chercher.

L’air sombre qui accompagnait ces paroles glaça la comtesse, elle retomba sur le lit en poussant un soupir arraché plutôt par le sentiment de sa destinée que par les angoisses de la crise prochaine. Ce gémissement acheva de prouver au comte la vraisemblance des soupçons qui se réveillaient dans son esprit. En affectant un calme que les accents de sa voix, ses gestes et ses regards démentaient, il se leva précipitamment, s’enveloppa d’une robe qu’il trouva sur