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feurre, à moins qu’ils n’eussent été accompagnés de circonstances par trop cruelles. Quelque temps avant la mort du roi, une dame de la cour assassina un gentilhomme qui avait tenu sur elle des discours malséants. L’un des mignons de Henri III lui dit : — Elle l’a, vive Dieu ! sire, fort joliment dagué !

Par la rigueur de ses exécutions, le comte d’Hérouville, un des plus emportés royalistes de Normandie, maintenait sous l’obéissance de Henri IV toute la partie de cette province qui avoisine la Bretagne. Chef de l’une des plus riches familles de France, il avait considérablement augmenté le revenu de ses nombreuses terres en épousant, sept mois avant la nuit pendant laquelle commence cette histoire, Jeanne de Saint-Savin, jeune demoiselle qui, par un hasard assez commun dans ces temps où les gens mouraient dru comme mouches, avait subitement réuni sur sa tête les biens des deux branches de la maison de Saint-Savin. La nécessité, la terreur, furent les seuls témoins de cette union. Dans un repas donné, deux mois après, par la ville de Bayeux au comte et à la comtesse d’Hérouville à l’occasion de leur mariage, il s’éleva une discussion qui, par cette époque d’ignorance, fut trouvée fort saugrenue ; elle était relative à la prétendue légitimité des enfants venant au monde dix mois après la mort du mari, ou sept mois après la première nuit des noces. — Madame, dit brutalement le comte à sa femme, quant à me donner un enfant dix mois après ma mort, je n’y peux. Mais pour votre début, n’accouchez pas à sept mois. — Que ferais-tu donc, vieil ours ? demanda le jeune marquis de Verneuil pensant que le comte voulait plaisanter. — Je tordrais fort proprement le col à la mère et à l’enfant. Une réponse si péremptoire servit de clôture à cette discussion imprudemment élevée par un seigneur bas-normand. Les convives gardèrent le silence en contemplant avec une sorte de terreur la jolie comtesse d’Hérouville. Tous étaient persuadés que dans l’occurrence ce farouche seigneur exécuterait sa menace.

La parole du comte retentit dans le sein de la jeune femme alors enceinte ; à l’instant même, un de ces pressentiments qui sillonnent l’âme comme un éclair de l’avenir l’avertit qu’elle accoucherait à sept mois. Une chaleur intérieure enveloppa la jeune femme de la tête aux pieds, en concentrant la vie au cœur avec tant de violence qu’elle se sentit extérieurement comme dans un bain de glace. Depuis lors, il ne se passa pas un jour sans que ce