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trinquant avec lui, vous voyez que cet Allemand a fait selon vous un sublime opéra sans s’occuper de théorie, tandis que les musiciens qui écrivent des grammaires peuvent comme les critiques littéraires être de détestables compositeurs.

— Vous n’aimez donc pas ma musique !

— Je ne dis pas cela, mais si au lieu de viser à exprimer des idées, et si au lieu de pousser à l’extrême le principe musical, ce qui vous fait dépasser le but, vous vouliez simplement réveiller en nous des sensations, vous seriez mieux compris, si toutefois vous ne vous êtes pas trompé sur votre vocation. Vous êtes un grand poëte.

— Quoi ! dit Gambara, vingt-cinq ans d’études seraient inutiles ! Il me faudrait étudier la langue imparfaite des hommes, quand je tiens la clef du verbe céleste ! Ah ! si vous aviez raison, je mourrais…

— Vous, non. Vous êtes grand et fort, vous recommenceriez votre vie, et moi je vous soutiendrais. Nous offririons la noble et rare alliance d’un homme riche et d’un artiste qui se comprennent l’un l’autre.

— Etes-vous sincère ? dit Gambara frappé d’une soudaine stupeur.

— Je vous l’ai déjà dit, vous êtes plus poëte que musicien.

— Poëte ! poëte ! Cela vaut mieux que rien. Dites-moi la vérité, que prisez-vous le plus de Mozart ou d’Homère.

— Je les admire à l’égal l’un de l’autre.

— Sur l’honneur ?

— Sur l’honneur.

— Hum ! encore un mot. Que vous semble de Meyerbeer et de Byron ?

— Vous les avez jugés en les rapprochant ainsi.

La voiture du comte était prête, le compositeur et son noble médecin franchirent rapidement les marches de l’escalier, et arrivèrent en peu d’instants chez Marianna. En entrant, Gambara se jeta dans les bras de sa femme, qui recula d’un pas en détournant la tête, le mari fit également un pas en arrière, et se pencha sur le comte.

— Ah ! monsieur, dit Gambara d’une voix sourde, au moins fallait-il me laisser ma folie. Puis il baissa la tête et tomba.

— Qu’avez-vous fait ? Il est ivre-mort, s’écria Marianna en jetant sur le corps un regard où la pitié combattait le dégoût.