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ment qu’à vous, et je l’ai trouvé vaste et concentré tout à la fois. Vraiment, grâce à vous, je viens d’habiter le beau pays des rêves où nos sens se trouvent agrandis, où l’univers se déploie dans des proportions gigantesques par rapport à l’homme. (Il se fit un moment de silence.) Je tressaille encore, dit le malheureux artiste, aux quatre mesures de timbales qui m’ont atteint dans les entrailles et qui ouvrent cette courte, cette brusque introduction où le solo de trombone, les flûtes, le hautbois et la clarinette jettent dans l’âme une couleur fantastique. Cet andante en ut mineur fait pressentir le thème de l’invocation des âmes dans l’abbaye, et vous agrandit la scène par l’annonce d’une lutte toute spirituelle. J’ai frissonné !

Gambara frappa les touches d’une main sûre, il étendit magistralement le thème de Meyerbeer par une sorte de décharge d’âme à la manière de Listz. Ce ne fut plus un piano, ce fut l’orchestre tout entier, le génie de la musique évoqué.

— Voilà le style de Mozart, s’écria-t-il. Voyez comme cet Allemand manie les accords, et par quelles savantes modulations il fait passer l’épouvante pour arriver à la dominante d’ut. J’entends l’enfer ! La toile se lève. Que vois-je ? le seul spectacle à qui nous donnions le nom d’infernal, une orgie de chevaliers, en Sicile. Voilà dans ce chœur en fa toutes les passions humaines déchaînées par un allegro bachique. Tous les fils par lesquels le diable nous mène se remuent ! Voilà bien l’espèce de joie qui saisit les hommes quand ils dansent sur un abîme, ils se donnent eux-mêmes le vertige. Quel mouvement dans ce chœur ! Sur ce chœur, la réalité de la vie, la vie naïve et bourgeoise se détache en sol mineur par un chant plein de simplicité, celui de Raimbaut. Il me rafraîchit un moment l’âme, ce bon homme qui exprime la verte et plantureuse Normandie, en venant la rappeler à Robert au milieu de l’ivresse. Ainsi, la douceur de la patrie aimée nuance d’un filet brillant ce sombre début. Puis vient cette merveilleuse ballade en ut majeur, accompagnée du chœur en ut mineur, et qui dit si bien le sujet ? -- Je suis Robert ! éclate aussitôt. La fureur du prince offensé par son vassal n’est déjà plus une fureur naturelle ; mais elle va se calmer, car les souvenirs de l’enfance arrivent avec Alice par cet allegro en la majeur plein de mouvement et de grâce. Entendez-vous les cris de l’innocence qui, en entrant dans ce drame infernal, y entre persécutée ? -- Non, non ! chanta Gambara qui sut faire chanter son