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sous la fascination d’un pouvoir surnaturel ! Non, la déclamation de Gluck lui-même ne fut jamais d’un si prodigieux effet, et je suis étonné de tant de science.

— Signor maestro, reprit Andrea en souriant, permettez-moi de vous contredire. Gluck avant d’écrire réfléchissait longtemps. Il calculait toutes les chances et arrêtait un plan qui pouvait être modifié plus tard par ses inspirations de détail, mais qui ne lui permettait jamais de se fourvoyer en chemin. De là cette accentuation énergique, cette déclamation palpitante de vérité. Je conviens avec vous que la science est grande dans l’opéra de Meyerbeer, mais cette science devient un défaut lorsqu’elle s’isole de l’inspiration, et je crois avoir aperçu dans cette œuvre le pénible travail d’un esprit fin qui a trié sa musique dans des milliers de motifs des opéras tombés ou oubliés, pour se les approprier en les étendant, les modifiant ou les concentrant. Mais il est arrivé ce qui arrive à tous les faiseurs de centons, l’abus des bonnes choses. Cet habile vendangeur de notes prodigue des dissonances qui, trop fréquentes, finissent par blesser l’oreille et l’accoutument à ces grands effets que le compositeur doit ménager beaucoup, pour en tirer un plus grand parti lorsque la situation les réclame. Ces transitions enharmoniques se répètent à satiété, et l’abus de la cadence plagale lui ôte une grande partie de sa solennité religieuse. Je sais bien que chaque compositeur a ses formes particulières auxquelles il revient malgré lui, mais il est essentiel de veiller sur soi et d’éviter ce défaut. Un tableau dont le coloris n’offrirait que du bleu ou du rouge serait loin de la vérité et fatiguerait la vue. Ainsi le rhythme presque toujours le même dans la partition de Robert jette de la monotonie sur l’ensemble de l’ouvrage. Quant à l’effet des porte-voix dont vous parlez, il est depuis longtemps connu en Allemagne, et ce que Meyerbeer nous donne pour du neuf a été toujours employé par Mozart, qui faisait chanter de cette sorte le chœur des diables de Don Juan.

Andrea essaya, tout en l’entraînant à de nouvelles libations, de faire revenir Gambara par ses contradictions au vrai sentiment musical, en lui démontrant que sa prétendue mission en ce monde ne consistait pas à régénérer un art hors de ses facultés, mais bien à chercher sous une autre forme, qui n’était autre que la poésie, l’expression de sa pensée.

— Vous n’avez rien compris, cher comte, à cet immense drame